Mais dès son arrivée (Bêlitili)
la princesse divine
brandit le collier de graines « mouches »
qu’Anu lui avait fait
au temps de leur amour :
« Ô dieux ici présents, s’exclama-t-elle,
je n’oublierai jamais
ces lazulites de mon collier !
Jamais je n’oublierai non plus ces jours funestes :
j’en ferai perpétuellement mémoire !
Les autres dieux
pouvaient venir prendre par au repas,
Mais Enlil
n’y aurait point du paraître,
puisque, inconsidérément,
il a décidé le déluge,
et livré mes gens à l’extermination! »
Enlil, pourtant,
aussitôt arrivé,
aperçut le bateau
et entra en fureur.
Plein de courroux
contre les dieux1 :
« Quelqu’un a donc eu la vie sauve,
alors qu’il ne devait rester
pas un seul survivant du Carnage! »
Ninurta ouvrit la bouche,
prit la parole
et s’adressa à Enlil-le-Preux :
« Qui donc, hormis Éa,
pouvait mener à bien l’opération,
puisque Éa seul
sait tout faire? »
Éa ouvrit la bouche,
prit la parole
et s’adressa à Enlil-le-preux :
« Mais toi, le plus sage des dieux,
le plus vaillant,
comment as-tu pu, aussi inconsidérément,
décider le déluge ?
Fais porter sa coulpe
au seul coupable,
et son péché
au seul pécheur !
Ou alors, au lieu de les supprimer, pardonne-leur,
ne les anéantis pas :
sois-leur clément !
Plutôt que ce déluge,
mieux eussent valu des lions
pour décimer les hommes !
Plutôt que ce déluge,
mieux eussent valu des loups,
pour décimer les hommes !
Plutôt que ce déluge,
la disette eût mieux valu,
pour débiliter le pays !
Plutôt que ce déluge,
l’épidémie eût mieux valu
pour frapper çà et là les hommes !
Non !
Je n’ai pas dévoilé
le secret juré des grands dieux !
J’ai seulement fait voir à Supersage (ndlr:Utanapištî) un songe
et c’est ainsi qu’il a appris le secret !
A présent,
décidez de son sort! »
Alors, Enlil
monta sur le bateau,
me prit la main
et me fit monter avec lui ;
il fit aussi monter et s’agenouiller
ma femme, près de moi.
Il nous toucha le front,
et, debout entre nous,
nous bénit en ces termes :
« Utanapištî, jusqu’ici,
n’était qu’un être humain :
désormais, lui et sa femme,
seront semblables à nous, les dieux !
Commentaires de jean Bottéro
1: le texte emploie le terme Igigi
NDLR : Igigi est une dénomination collective de la communauté divine. Une autre expression analogue est Anunnaki (ou Enunnaki dans version ancienne) qui se rapporte, tantôt aux plus grand dieux célestes, tantôt à l’ensemble des dieux infernaux.
Tablette XI, v. 162-194.
L’épopée de Gilgameš, Le grand homme qui ne voulait pas mourir, traduit de l’akkadien par Jean Bottéro, l’aube des peuples, Gallimard
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