Elle mit au monde un enfant,
plein de ruses et de séductions.
C’est un brigand, il vole le bétail,
il amène les rêves,
il est aux aguets la nuit,
il veille aux portes. Bientôt
il ferait voir des merveilles
parmi les dieux qui ne meurent pas.
Il est né à l’aurore ; dès midi
il jouait de la cithare ;
quand vint la soir il vola
les vaches d’Apollon l’Archer.
Il naquit le quatre du mois,
de Maïa la souveraine.
À peine il avait jailli
du ventre immortel de sa mère ;
déjà il ne voulait plus
rester dans le berceau sacré ;
il sauta sur ses pieds, pour aller
chercher les vaches d’Apollon ;
il franchit d’une enjambée
le seuil de la haute caverne.
Là il trouva une tortue
dont il eut mille bonheurs.
Hermès est la premier qui fabriqua
une tortue qui chante.
Il se trouva nez à nez avec elle
à la porte de la cour,
comme elle broutait la bonne herbe
juste devant la maison,
marchant à petit pas. Le bienfaiteur,
le fils de Zeus,
la vit et se mit à rire.
Et voici ce qu’il dit soudain :
« Jolie trouvaille, et bien utile,
à na pas mépriser.
Bonjour, ma jolie, ma danseuse,
allons ensemble à la fête !
C’est charmant, ce que je vois.
D’où sort ce joli jouet ?
Une coquille pleine de reflets,
une tortue des montagnes.
Je te prends, je t’emporte à la maison ;
tu vas me servir.
Mais bien sûr ! Je te respecte :
je suis le premier à t’utiliser.
Tout ramener à la maison ;
ce qui reste dehors peut se perdre.
Tu seras une amulette
contre les sortilèges qui font mal,
si tu vis. Mais si tu mourais,
que tu chanterais bien! »
Voilà ce qu’il dit, il la souleva
avec ses deux mains ;
et il entra dans la maison
en portant le joli jouet.
Alors il la retourna ;
avec un ciseau de fer pâle,
il creusa la tortue des montagnes
pour enlever la moelle.
Comme une pensée aiguë
traversa soudain le cœur
d’un homme que les soucis
ne laissent pas en paix
ou comme on voit des éclairs
passer dans un regard,
ainsi Hermès le magnifique
vit soudain quoi dire et quoi faire.
Il coupa à la juste mesure
des roseaux et les fixa
en traversant sur le sommet
l’écaille de la tortue.
Avec astuce il étendit
tout autour une peau de vache ;
il ajouta deux bras,
avec la traverse qui les joint,
puis d’un boyau de mouton il fit
sept cordes justes qu’il tendit.
Et quand il eut sans s’interrompre
fabriqué le joli jouet,
il essaya corde à corde
avec un plectre, et sous sa main
la résonance fut superbe.
Le dieu chantait à voix claire,
il improvisait, il inventait,
comme les jeunes gens
qui dans les fêtes font un concours
à qui dira la pire injure.
Il chantait Zeus le Kronide
et Maïa aux belles sandales,
comment ils se rencontrèrent,
comment l’amour les mit ensemble.
Il donnait ainsi de la gloire
à sa propre naissance.
Il fit l’éloge aussi des chambrières,
du beau palais de la nymphe,
des trépieds qu’on voyait dans les salles,
des chaudrons intarissables.
Voila ce qu’il chantait, mais dans sa tête
il avait d’autres idées.
V.13-62
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