(ndlr: le père d’Artembarès se plaint auprès d’Astyage qui convoque le bouvier et son fils.)
Quand il les eut tous les deux devant lui, il toisa Cyrus et lui dit: « C’est donc toi, le fils de ce pauvre hère, qui as osé infliger un pareil outrage au fils de ce grand seigneur, le premier de ma cour? » Cyrus répondit: « Oui, maître, je l’ai fait, et c’était justice. Les garçons du village et lui parmi eux, en jouant m’ont pris pour roi: ils me trouvaient le plus digne de l’être. Les autres acceptaient mes ordres, mais lui ne m’écoutait pas et n’en tenait aucun compte, jusqu’au moment où il a reçu sa punition. Si ma conduite mérite un châtiment, me voici devant toi. »
Pendant que l’enfant lui répondait, Astyage se prit à soupçonner la vérité: les traits de son visage lui paraissaient répondre aux siens, et ses paroles prouver une condition plus haute que celle dont on le disait; de plus, son âge était en accord avec la date où l’enfant de Mandane avait été exposé. Bouleversé par cette constation, il resta quelque temps sans voix;…
….
(ndlr: Astyage s’arrange pour éloigner Artembarès et son père pour discuter avec le garçon)
Demeuré seul avec le bouvier, Astyage lui demanda d’où lui venait cet enfant, qui le lui avait remis. L’autre affirmait que c’était son propre fils, et que la mère vivait encore à ses côtés. Astyage lui répliqua qu’il n’était guère raisonnable s’il désirait se faire contraindre à parler; en même temps, il faisait signe à ses gardes de le saisir. Menacé de la torture, l’homme révéla toute la vérité: il raconta son histoire d’un bout à l’autre, en toute franchise, et finit par des prières, en demandant au roi de lui pardonner.
(ndlr: Astyage convoque Harpage, celui-ci avoue comment, selon lui, se sont déroulé les choses.)
Harpage ne dissimula rien; Astyage, cachant son ressentiment, lui répéta d’abord l’histoire telle qu’il l’avait entendue du bouvier, et finit son récit en déclarant que l’enfant vivait et que tout était pour le mieux: « Car, dit-il, le sort de cet enfant m’affligeait vivement, et j’avais peine à supporter les reproches de ma fille. Eh bien, puisque la fortune a tout arrangé, envoie donc ton fils auprès du nouveau venu, et viens dîner avec moi: je compte remercier le ciel du salut de mon petit-fils en offrant sacrifice aux dieux qui réclament cet honneur. »
À ces mots Harpage se prosterna devant le roi et s’en retourna chez lui, fort soulagé de voir l’heureux résultat de sa faute, et d’être invité à dîner au palais pour fêter cette faveur de la fortune. Il avait un fils unique d’environ treize ans; de retour chez lui, il se hâta de l’envoyer au palais avec ordre d’aller trouver le roi et de lui obéir en tout; et lui-même, tout joyeux, va raconter l’aventure à sa femme. Quand Astyage eut l’enfant près de lui, il le fit égorger et couper en morceaux, puis il le fit rôtir ou bouillir les chairs pour en confectionner les plats appétissants qu’on tint prêts à être servis. À l’heure du dîner, les hôtes étaient tous là, Harpage parmi eux; on plaça devant tous, ainsi que devant le roi, des tables chargées de viande de mouton, mais l’on servit à Harpage le corps entier de son fils, sauf la tête, les mains et les pieds, mis à part dans une corbeille d’osier sous un voile. Lorsque Harpage sembla rassasié, Astyage lui demanda s’il avait apprécié le repas; Harpage affirma qu’il en était enchanté; alors les serviteurs chargés de ce soin mirent devant lui la tête de son enfant, toujours dissimulée sous un voile, ainsi que les mains et les pieds et, debout à ses côtés, , l’invitèrent à soulever le voile et à se servir à son gré. Harpage obéit, soulève l’étoffe, voit les restes de son fils. Cependant il ne manifesta rien et sut se maîtriser. Astyage lui demanda s’il reconnaissait la bête dont il avait mangé la chair. Il répondit qu’il la reconnaissait et que le roi ne pouvait rien faire qui ne lui plût. Après cette réponse il prit ce qui restait des chairs et revint chez lui; il voulait, je pense, réunir tous ces débris et lui donner une sépulture.
C’est ainsi qu’Astyage se vengea d’Harpage.
pg 102-105
L’Enquête, Livre I, Hérodote, Edition d’André Barguet, folio classique.
]]>