Grenade
Le symbolisme de la grenade relève de celui, plus général, des fruits à nombreux pépins (cédrat, courge, orange). C’est tout d’abord un symbole de fécondité, de postérité nombreuse : dans la Grèce antique, elle est aussi attribut d’Héra et d’Aphrodite ; et, à Rome, la coiffure des mariées est faite de branches de grenadier. En Asie, l’image de la grenade ouverte sert à l’expression des souhaits, quand elle ne désigne pas expressément la vulve. Ce que confirmerait une légende d’une image populaire vietnamienne : la grenade s’ouvre et laisse voir cent enfants (Durand M., Imagerie populaire vietnamienne, Paris, 1960). De même au Gabon, ce fruit symbolise la fécondité maternelle. En Inde, les femmes boiraient du jus de grenade pour lutter contre la stérilité.
La mystique chrétienne transpose ce symbolisme de la fécondité au plan spirituel. C’est ainsi que Saint Jean de la Croix fait des pépins de la grenade le symbole des perfections divines dans leurs effets innombrables ; à quoi il ajoute la rondeur du fruit comme expression de l’éternité divine, et la suavité du jus comme celle de la jouissance de l’âme aimante et connaissante. En quoi, la grenade représente finalement les plus hauts mystère de Dieu, ses plus profonds jugements et ses sublimes grandeurs. (Cantique spirituel)(Durand M., Imagerie populaire vietnamienne, Paris, 1960). Les pères de l’Église ont aussi voulu voir dans la grenade l’Église elle-même. De même que la grenade contient sous une écorce unique un grand nombre de grains, de même l’Église unit dans une seule croyance des peuples divers (Tervarent Guy de, Attributs et symbole de l’art profane, 1450-1600, Genève, 1959, pg. 204).
Le pépin de grenade aurait dans la Grèce ancienne, une signification en rapport avec la faute. Perséphone raconte à sa mère comment elle fut séduit malgré elle : il m’a mis sournoisement dans la main un aliment doux et sucré – un pépin de grenade – et malgré moi, de force, il m’a contrainte à la manger(Hymne homérique à Déméter) Le pépin de grenade vouant aux enfers est un symbole des douceurs maléfiques. Ainsi, Perséphone, pour l’avoir mangé, passera un tiers de l’année dans l’obscurité brumeuse et les deux autres auprès des immortels. Dans le contexte du mythe, le pépin de grenade pourrait signifier que Perséphone a succombé à la séduction et mérite ainsi le châtiment d’un tiers de sa vie passé aux Enfers. D’autre part, en goûtant au pépin de grenade, elle avait rompu le jeûne, qui était la loi des Enfers. Quiconque y prenait une nourriture ne pouvait rejoindre le séjour des vivants. Ce fut par une faveur spéciale de Zeus qu’elle partagea son existence entre les deux domaines.
Si les prêtres de Déméter, à Éleusis, les hiérophantes, étaient couronnés de branches de grenadier pendant les grand Mystères, la grenade elle-même, ce fruit sacré qui avait perdu Perséphone, était rigoureusement interdite aux initiés, parce que, symbole de fécondité, elle porte en elle la faculté de faire descendre les âmes dans la chair (Servier J., Les portes de l’année, Paris, 1962, pg. 119 et 144). Le pépin de grenade qu’avait absorbé la fille de Déméter l’avait vouée aux Enfers, et par une contradiction apparente du symbole, condamnée à la stérilité. La loi permanente des Enfers prévalait sur l’éphémère plaisir d’avoir gouté à la grenade.
Ne pourrait-on plus simplement remarquer que ce grain rouge et brûlant d’un fruit infernal évoque on ne peut mieux la parcelle du feu chthonien que Perséphone vole pour le profit des hommes, puisque sa remontée vers la surface de la terre signifiera le réchauffement et le verdissement de celle-ci, le renouveau printanier et, par ce biais, la fertilité. Alors, dans cette optique, Perséphone rejoint les innombrables héros civilisateurs qui, de par le monde, ont volé le feu pour assurer la pérennité de ce monde et de la vie.
Dans la poésie galante persane, la grenade évoque le sein : ses joues sont comme des fleurs de grenadier, et se lèvres comme le sirop de grenades;de sa poitrine d’argent pousse deux grenades (Firdousi cité par Huart Clément, Notes prises pendant un voyage en Syrie (extrait du journal asiatique), Paris, 1879, pg. 77). Une devinette populaire turque citée par Sabahattin Eyuboglu (Siirle Fransizca, Istanbul, 1964) parle de la fiancée comme d’une rose pas sentie, une grenade pas ouverte.
Dictionnaire des symboles de Jean Chevalier et Alain Gheerbrant, Bouquins, Robert Laffont/Jupiter, 2008.
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