(ndlr sur le contexte : une des reine, Kaïkeyî, parvint grâce à un serment que fit le roi sauvé par elle après une bataille, à évincer Râma pour mettre sur le trône, le frère de Râma, son fils : Bharata. Voici la réaction de Râma devant la nouvelle)
Et c’est ainsi que Râma, pendant cinq et neuf ans, fut exilé du royaume que lui réservait son père. Lorsqu’il apprit la machination de la reine, il ne se départit point de son calme et seule la promesse engagée par Daçaratha1 retint sons attention. Il se montra plein de respect vis-à-vis de Kaïkeyî et l’entendit sans le moindre reproche. Car c’est elle même qui lui notifia la sentence, le vieux monarque n’ayant plus prononcer une seule parole. Râma accepta tout. Sa grande âme ne se troubla pas.
-Qu’il en soit ainsi noble reine. Quatorze années, j’habiterai la forêt, portant l’habit d’écorce et tressant ma chevelure à l’instar des ermites. Il n’est point d’acte plus vertueux que la soumission à la volonté de son père. La promesse qu’il t’a faite et dont aujourd’hui tu exiges la réalisation, elle ne sera pas vaine. Que Bharata soit roi ; ce frère excellent saura se faire, je n’en doute pas. Sous son autorité, l’empire oubliera toute vicissitude et des temps fortunés succèderont à son avènement. En sortant du palais, Râghava2 aux yeux de Lotus congédia ses gens,
renvoya son char ainsi que la foule accourue pour son sacre. Il repoussa le parasol blanc et retourna dans sa demeure. La privation du royaume n’entama pas sa douceur habituelle et, tel celui qui a franchi tous les désirs, il ne manifesta aucune émotion.
Quand elle apprit ce revirement, Kausalyâ3, par contre, céda à la plus vive affliction. Elle que la joie portait, un instant plus tôt, sentit ses forces et son courage l’abandonner :
-Il y a dix-sept ans que tu es né, ô mon fils ! J’ai vieilli, je comptais sur ta protection, et voila qu’un autre va prendre ta place. Quel traitement me réservera ma rivale quand Bharata sera le maître ? Tu pars, ton père sombre dans la déraison : sur qui puis-je compter pour les années qui viennent ? Qui sera mon rempart ?
Râma, cependant, l’écouta sans broncher. Et Lakchmana eut beau tenter de la convaincre, il n’obtint rien de mieux. Le Magnanime était inébranlable :
-Je m’incline devant toi, ô reine, mais je veux partir pour la forêt. Mon devoir ici bas, je l’accomplirai sans faute ; car le devoir est la racine de tout. Il représente ce qu’il y a de plus haut dans le monde. En lui repose les assises de la vérité. A quoi me sert cette vie misérable si je renonce au devoir ? Toi qui es ma mère, tu ne peux ignorer la voie sacrée. Pour ce qui est de Kaïkeyî, nous n’avons point à la juger. Je l’ai toujours aimée, toujours respectée : d’où lui viendrait cette volonté de me nuire ? C’est le Destin qui l’inspira, ce pouvoir mystérieux que nul ne saurait forcer puisqu’on en
saisit jamais rien si ce n’est le résultat. Mon sacre est contredit : faut-il s’en désoler ? Non, bien sûr ; ni non plus s’en réjouir. Inentamable est l’équilibre du sage. L’espoir, le regret, il les a effacés de son cœur.
1: « Celui-qui-a-dix-chars »
2:surnom donné aux descendants de Raghou, un des ancêtres de Râma, issu, comme lui de la race solaire.
3:Mère de Râma
pg 38-39
Le livre de Ayodhyà; le Râmâyana; Ed. Devry.
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