Mais ce genre de chose était loin de nous satisfaire. Le besoin d’indépendance renâclait en nous. Ne rien pouvoir faire sans la permission de nos aînés – c’était intolérable ! A la fin, par dégoût pur et simple, nous décidâmes de nous suicider !
Mais comment faire ? Où nous procurer le poison ? La graine de Dhatura, racontait-on, était un poison efficace. En route, donc, pour la jungle, en quête de ces graines, dont nous fîmes provision. Le soir nous parut l’heure propice. Nous nous rendîmes au Kedjâri Mandir1, alimentâmes de beurre fondu la lampe du culte, reçûmes le darshan2, puis cherchâmes un coin retiré. Mais le cœur nous manqua. Si jamais la mort n’était pas instantanée ? Et à quoi servait-il de nous tuer ? Pourquoi ne pas se résigner plutôt au manque d’indépendance ? Nous n’en prîmes pas moins deux ou trois graines, sans oser en avaler plus. Nous luttions tous deux, cabrés à l’idée de mourir. Nous décidâmes d’aller au Râmji Mandir pour retrouver le calme de l’esprit et écarter la pensée du suicide.
Je me rendis compte qu’il était plus facile d’envisager que de commettre le suicide. Et depuis lors, chaque fois que l’on m’a parlé de quelqu’un qui menaçait de se tuer, je ne m’en suis guère ému, pour ne pas dire que cela m’a laissé parfaitement froid.
1: « Temple de Kedâr ».
2: du sanskrit daršana « fait de regarder, de voir » : il s’agit de la contemplation d’une image divine, dont la seule vue produit des effets bénéfiques.
pg 37-38
Autobiographie ou mes expériences de vérité; Mohandas Karamchand Gandhi; puf; 2007
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