Le déluge raconté par Utanapištî; L'épopée de Gilgameš

Et le moment fatal arriva :

Lorsque, dès l’aurore,

Il chut des petits pains,

et des averses de froments, au crépuscule,

j’examinai

l’aspect du temps :

il était

effrayant à voir !

Je (Utanapištî) m’introduisis donc dans le bateau,

et j’en obturai l’écoutille :

celui qui la ferma,

PuzurAmurru, un nocher,

je lui fis présent de mon palais,

avec ses richesses.

Lorsque brilla

le point du jour,

monta de l’horizon

une noire nuée

dans laquelle

tonnait Adad,

Précédé

de Sullat et Hanis

Hérauts divins

qui sillonnaient collines et plat pays, Nergal

arracha les étais des vannes célestes

Et Ninurta se mit

à faire déborder les barrages d’en haut,

tandis que les dieux infernaux (Anunnaki),

brandissant des torches,

incendiaient, de leur embrasement,

le pays tout entier,

Adad déploya dans le ciel

son silence-de-mort,

Réduisant les ténèbres

tout ce qui avaient été lumineux

Brisèrent la terre comme un pot.

Le premier jour

que souffla la tempête,

si furieuse elle souffla

que….

Et l’anathème1 passa

sur les hommes, comme la guerre.

Personne

ne voyait plus personne

Du ciel, les multitudes n’étaient plus discernables,

Parmi ces trombes d’eau.

Les dieux

étaient épouvantés par ce déluge :

Prenant la fuite,

Ils grimpèrent jusqu’au plus haut du ciel,

Où, tels des chiens, ils demeuraient pelotonnés

et accroupis au sol.

La Déesse criait

comme une parturiente-

Bêlitilî2, à la belle voix, se lamentait disant :

« Ah, s’il n’avaient jamais existé,

ce jour-là,

où parmi l’assemblée des dieux,

je me suis prononcée en mauvaise part !

Comment dans cette assemblée, ai-je pu, de la sorte

décider un pareil carnage

pour anéantir les populations ?

Je n’aurai donc mis

mes gens au monde

que pour emplir la mer,

comme de poissonnaille! »

Et les dieux de hautes classe (Anunnaki)

de se lamenter avec elle !

Tout les dieux

demeuraient prostrés

En larmes,

au désespoir…..,

lèvres brûlantes3,

et dans l’angoisse.

Six jours et sept nuit durant,

bourrasques, pluies battantes,

ouragans et déluge

continuèrent de saccager la terre.

Le septième jour arrivé,

Tempête, déluge et hécatombe cessèrent,

après avoir distribué leur coup au hasard,

comme une femme dans les douleurs.

La « Mer » se calma et s’immobilisa,

Ouragan et déluge s’étant interrompus !

Je regardai alentour :

le silence régnait !

Tout les hommes avaient été

retransformés en argile ;

et la plaine liquide

semblait un toit-terrasse.

J’ouvris la lucarne

et l’air vif ma sauta au visage.

Je tombai à genoux, immobile,

et pleurai :

les larmes ruisselaient

sur mes joues.

Puis je cherchai du regard des côtes,

à l’horizon.

A quelques encablure,

une langue de terre émergeait :

C’était le mont Nisir.

Commentaires de Jean Bottéro

1: Je restitue ici, en , fonction du texte, le terme akkadien de kasusu, qui désignait d’abord une arme surnaturelle et géante utilisée par les dieux, puis une prodigieuse catastrophe déclenchée par leur volonté : d’ou ma traduction « anathème », au sens de « condamnation totale ».

2:Le texte utilise ici le terme courant d’Ištar, évidemment pris, selon l’usage, pour le simple féminin de « dieu ». En réalité, il ne s’agit pas ici d’Ištar en personne, dont on sait à quel point l’épopée la malmène (voir notamment une bonne partie de la tablette VI), mais comme le vers parallèle suivant le précise, de la Grande Déesse Mère (appelée plus haut Mammitu, Mah, Aruru), Bêlitili, la « dame des dieux » qui avait pris part avec Ea, à la création des hommes : aussi les appelle-t-elle « mes gens ». Elle était particulièrement affectée par l’anéantissement de son oeuvre : elle le montrera encore à la fin du déluge, car c’est bien la même personnalité qui porte le titre de « princesse divine ».

3: N’ayant plus de fournisseur patentés, les hommes, ils meurent de soif et de faim (aussi se jetteront-ils sur le banquet final).

Tablette XI, v. 89-140.

L’échec et le retour à la vie ordinnaire, le cataclysme et la réaction des dieux.

L’épopée de Gilgameš, Le grand homme qui ne voulait pas mourir, traduit de l’akkadien par Jean Bottéro, l’aube des peuples, Gallimard

 

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