Voilà ce qu’il dit ; et il poussait
les vaches aux têtes puissantes.
Il traversa, Hermès le magnifique,
bien des montagnes ombreuses,
bien des plaines fleuries.
…
C’est alors que le vaillant fils de Zeus
jusqu’au fleuve Alphée
poussa les vaches aux front large,
vaches de Phoïbos Apollon.
Elles arrivèrent sans fatigue
dans une étable haute ;
il y avait des abreuvoirs
au bord d’une prairie magnifique.
Alors il nourrit largement
d’herbes les vaches meuglantes,
il les poussa toutes ensemble
au fond de l’étable,
bien repue de trèfle
et d’un souchet couvert de rosée.
Il ramassa beaucoup de bois
et se mit à inventer le feu.
Prenant une belle branche
de laurier, il l’écorça avec du fer
. . . . . . . . . .
le tenant bien en main.
Une fumée chaude apparut.
Hermès est le premier qui nous donna
le feu et l’art du feu.
Il prit une grande quantité
de bois parfaitement sec ;
il creusa un trou, l’y entassa ;
le feu se mit à briller,
lançait au loin des jets de flamme,
brûlait avec violence.
Pendant que la force d’Héphaïstos
faisait prendre le feu,
il tira deux vaches meuglantes
aux cornes courbes hors de l’étable
près du feu. Une force immense
était en lui. Toutes les deux
il les jeta par terre sur le dos,
pantelantes. Il les plia en deux,
les fit rouler sur le flanc,
leur perça la moelle épinière.
Il faisait travail sur travail,
coupait la viande pleine de graisse ;
il faisait griller, enfilées
sur des brochettes de bois,
les viandes, et puis l’échine
-part honorable- et le sang noir
enfermé dans les boyaux.
Tout était disposé bien en place.
Les peaux, il les étendit
sur une roche très dure.
Aujourd’hui encore, après tant d’années,
on peut les y voir.
Du temps a passé, on ne sait pas
combien. Là-dessus
Hermès en joie retira du feu
ces beaux morceaux bien gras,
les mit sur une pierre plate,
les partagea en douze portions
pour qu’on les tire au sort ;
chacune était une part honorable.
Alors Hermès le magnifique
eut envie de ces viandes sacrées.
car il avait beau être immortel,
leur bonne odeur l’obsédait.
Mais il avait le cœur fier ;
il ne se laissa pas aller
malgré son envie à les faire passer
par son gosier divin.
Il emporta donc tout cela,
cette graisse, toute cette viande,
dans l’étable où les poutres sont hautes
et il les suspendit,
comme un souvenir de son vol.
Puis, ramassant du bois sec,
il fit détruire par le souffle du feu
les têtes et les pieds.
Et quand il eut tout achevé,
le dieu, selon le rite,
il lança ses sandales
dans les tourbillons de l’Alphée ;
il laissa s’éteindre les charbons,
prit soin tout au long de la nuit
d’éparpiller les cendres noire,
sous un beau clair de lune.
Il fut de retour
sur les sommets divins du Cyllène
au matin. Il n’avait rencontré
personne su sa longue route,
aucun des hommes qui meurent
ni aucun des dieux bienheureux ;
les chiens n’avaient pas aboyé.
Hermès le bienfaiteur
entra en se glissant de travers
par la fente de la porte
comme un vent d’automne,
comme une traînée de brouillard.
il alla droit au riche autel
qui se trouvait dans la caverne ;
il marchait tout doucement,
sans faire de bruit sur le sol.
Hermès le magnifique sauta
d’un bond dans son berceau.
Il serra autour de ses épaules
son drap comme un enfant
tout petit, il tenait à la main
sur ses genoux un chiffon
pour jouer, tout en regardant la tortue
du coté qui est à gauche.
Mais elle vit bien qu’il était là,
la déesse, et elle lui dit :
« Ô le petit rusé, d’où viens-tu
à cette heure de nuit,
avec ton allure insolente ?
Je vois bien ce qui va se passer :
ou bien, d’ici peu, le fils de Lètô
viendra te ligoter,
tu ne pourras pas te dépêtrer
et il t’emportera ;
ou bien tu sera sans cesse
à chaparder dans tous les coins.
Allez, file. Ton père t’a semé
pour être sans fin le fléau
et des hommes qui meurent
et des dieux qui ne meurent pas. »
Hermès lui répondit
ces paroles pleines d’astuces :
« Ma mère, pourquoi veux-tu
me faire peur comme à un bébé
tout petit, qui n’a pas l’impression
d’avoir commis des crimes,
mais qui s’inquiète et qui a toujours peur
que sa maman le gronde ?
Mais je vais apprendre un métier,
le meilleur des métiers,
qui nous fasse honneur à tous les deux,
à jamais ; dis ce que tu veux,
nous n’allons pas rester ici
seuls de tous les immortels,
dans la richesse et l’abondance
et l’opulence, qu’à croupetons
dans une caverne embrumée.
v.94-172
]]>