Voila ce qu’il chantait, mais dans sa tête
il avait d’autres idées.
Donc il posa sans plus attendre
la lyre creuse dans le berceau
sacré ; il avait soudain
une envie de viande et il bondit,
sortit de la salle qui sent bon
pour se mettre en embuscade ;
dans son esprit il préparait
une ruse retorse,
comme en invente les brigands
au plus noir de la nuit.
Le soleil par-delà la terre
plongeait dans l’océan
avec ses chevaux et son char ;
c’est alors qu’Hermès
atteignit en courant l’ombre
des montagnes de Piérie2 ;
les dieux bienheureux ont là des étables
pour leurs vaches immortelles
qui broutent dans les prairies
tendres et jamais fauchées.
Le fils de Maïa,
l’Argeïphontès qui remarque tout,
enleva du troupeau
cinquante vaches meuglantes.
Il les fit marcher en zigzag
sur un terrain sablonneux ;
pour que leurs traces soient à l’envers
il se souvint d’une ruse :
il les faisait marcher à reculons,
la tête du troupeau en queue,
la queue en tête, et lui-même
allait tout au rebours.
Il jeta d’emblée ses sandales
sur le sable de la plage.
Il s’en tressa d’autres (comment les dire?),
absurdes, merveilleuses,
avec du tamaris et des tiges
comme celles du myrte.
Il fit un lien à ces fagots
de branches toutes jeunes,
il se les fixa doucement au pieds :
c’étaient des sandales légères
avec toutes les feuilles
qu’Argeïphontès le magnifique
avait cueillies en Piérie
pour avoir la tâche plus facile ;
il avait des secrets pour faire vite une longue route.
Un vieil homme le vit venir,
qui taillait sa vigne en fleur ;
il le vit aller vers la plaine
à travers l’herbage d’Onchestos1 ;
le fils de l’illustre Maïa
fut le premier à parler :
« Vieil homme qui pioches ta vigne,
les épaules toutes courbées,
tu auras du vin en quantité
quand tout cela donnera.
Tâche de voir sans voir,
d’entendre en étant sourd,
et de te taire : ce n’est pas
à ton bien qu’on en veut. »
1: ville de Béotie connue pour son sanctuaire consacré à Poséïdon
2:La Piérie est au pied de l’Olympe, dans le nord de la plaine Thessalienne
V.62-92
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