Pierre (Partie 2)
Ce n’est sans doute pas par hasard si la pierre philosophale du symbolisme alchimique est l’instrument de la régénération. La pierre brute est la matière passive ambivalente : si la seule activité humaine s’exerce sur elle, nous l’avons vu, elle s’avilit ; si au contraire, c’est l’activité céleste et spirituelle qui s’exerce sur elle, en vue d’en faire une pierre taillée achevée, elle s’ennoblit. Le passage de la pierre brute à la pierre taillée par Dieu, et non par l’homme est celui de l’âme obscure à l’âme illuminée par la connaissance divine. Maître Eckhart n’enseigne-t-il pas par ailleurs que pierre est synonyme de connaissance ? Le symbolisme était différent chez les Hébreux : le passage de la pierre brute requise pour les autels, à la pierre taillée , dans la construction du temple de Salomon, est le signe de la sédentarisation du Peuple élu, et, nous l’avons remarqué au début de cette note, d’une stabilisation et d’une cristallisation cycliques, d’une involution au lieu d’un progrès. Dans le symbolisme maçonnique, la pierre cubique exprime également, la notion de stabilité, d’équilibre, d’achèvement et correspond au sel alchimique.
Dans le même contexte, la pierre cubique à pointe est le symbole de la Pierre Philosophale : la pyramide surmontant le cube figure le principe spirituel établi sur la base du sel et du sol. La construction pierre sur pierre, évoque évidemment celle d’un édifice spirituel. Cette idée est longuement développée dans le Pasteur d’Hermas, mais elle trouve sa source en deux passages de l’Évangile : celui qui fait de Pierre (Kephas) la pierre fondamentale de la construction ecclésiale (Matt. 16, 18), la première pierre de l’édifice ; celui qui, de Matt.21, 42 à Luc 20,17 reprend le texte du psaume 118 : la pierre qu’avaient rejetée les bâtisseurs est devenue la pierre de l’angle. Cette notion de pierre angulaire reprise par la maçonnerie, est peu compréhensible si l’on n’ opère la rectification que font aujourd’hui les traducteurs bibliques : c’est en réalité la pierre du faîte, c’est à dire la clef de voûte. C’est la pierre de l’achèvement, du couronnement et le symbole du Christ descendu du ciel pour accomplir la Loi et les Prophètes. Cette notion d’accomplissement du Grand Œuvre s’applique exactement à la pierre philosophale, d’ailleurs quelquefois prise comme symbole du Christ. Elle est le pain du Seigneur, écrit Angelus Silesiue : On cherche la pierre de l’or (Goldstein), et laisse la pierre de l’angle (Eckstein), par laquelle on peut être éternellement riche, sain et sage (à noter qu’Eckstein a aussi le sens de diamant). La pierre qui est l’Élixir de vie et qui, selon Raymond Lulle, régénère les plantes, est le symbole de la régénération de l’âme par la grâce divine, de sa rédemption. Peut-on faire de l’or avec des pierres ? Interroge ironiquement le commentateur du Traité de la Fleur d’Or. Le Pao-p’ou tseu assure qu’on ne peut tirer que de la chaux. Pourtant, le grand guru Nâgârjuna assurait la transmutation possible, par la vertu d’une énergie spirituelle suffisante. Si l’Or est l’immortalité, et que les pierres soient les hommes, toutes les méthodes de l’alchimie spirituelle visent bien à cette opération. La pierre de l’angle que je désire, écrit Silésius, est ma teinture d’or, et la pierre de tout les sages (Benoist L., L’art du monde, Paris, 1941 ; Bhattacharya K., Les religions Brahmaniques dans l’ancien Cambodge, Paris, 1961 ; Cadiere L., Croyances et pratiques religieuses des Vietnamiens, Saigon Paris, 1957 1958 ; Eliade Mircea, Forgerons et alchimistes, Paris, 1956 ; Grison P., Le traité de la Fleur d’Or su Suprême Un, Paris, 1966 ; Guenon R., L’ésotérisme de Dante, Paris, 1925 ; Guenon R.,Le roi du monde,Paris, 1927; Guenon R., La grande triade, Nancy, 1946; Guenon R.,Symboles fondamentaux de la Science Sacrée, Paris, 1962 ; Kaltenmark M., Le Lie-sien tchouan, Pékin, 1953).
Dictionnaire des symboles de Jean Chevalier et Alain Gheerbrant, Bouquins, Robert Laffont/Jupiter, 2008.
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