Premier contacte entre Cambyse et l'Éthiopie et départ en guerre de Cambyse, Enquête, Hérodote

ndlr : Cambyse projetant d’envahir les Éthiopiens Longues-Vies, décide d’envoyer des Ichthyophages1 pour espionner la contrée sous couverture diplomatique.

Arrivés auprès de ces gens (ndlr : les Éthiopiens), les Ichthyophages remirent leurs donc au roi et lui dirent : « Le roi des Perses, Cambyse, désire devenir ton ami et ton hôte ; il nous a envoyés ici avec l’ordre d’entrer en relation avec toi, et il t’adresse en présent ces objets, ceux dont il tire lui-même le pus grand plaisir. » L’Éthiopien comprit qu’ils n’étaient que des espions et leur répondit : « Le roi des Perses ne vous a pas envoyés, vous et vos présents, parce qu’il tient beaucoup à devenir mon hôte ; vous-mêmes, vous ne dites pas la vérité, car vous êtes venus espionner mon royaume ; et lui, il n’est pas un homme juste ; s’il était juste, il n’aurait pas convoité un pays qui ne lui appartient pas, il ne chercherait pas à réduire en esclavage des hommes qui ne lui ont fait aucun tort. Eh bien, remettez-lui cet arc et dites-lui ceci : »Le roi d’Éthiopie donne ce bon conseil au roi des Perses : le jour où les Perses banderont aisément un arc de cette taille, comme je le fais, qu’il attaque les Éthiopiens Longues-Vies, avec des forces supérieures aux leurs. En attendant ce jour, qu’il remercie les dieux qui ne mettent pas au coeur des fils de l’Éthiopie le désir d’accroître leurs terres pas des conquêtes. »

Là-dessus il débande son arc et le remit aux émissaires de Cambyse. Puis il prit le vêtement de pourpre et demanda ce que c’était, et comment on l’avait fait. Quand les Ichthyophages lui eurent dit la vérité sur le pourpre et les teintures, il déclara que tout mentait dans leur pays, les vêtements comme les hommes. Ensuite il les questionna sur l’or des colliers et des bracelets ; les Ichthyophages lui expliquèrent que c’était une parure, mais le roi les prit pour des chaînes et répondit en riant qu’ils avaient chez eux des chaînes plus solides que celles-là. Puis il passa au parfum ; les autres lui en dirent l’origine et l’usage, et il en jugea comme du vêtement. Mais lorsqu’il fut au vin et qu’il sut comment on le fabriquait, ce breuvage l’enchanta ; il voulu alors savoir ce que mangeait leur roi, et quel âge extrême pouvait atteindre un Perse. Ils répondirent que le roi se nourrissait de pain, et lui expliquèrent comment on cultivait le blé ; puis ils lui dirent que la vie la plus longue que peut espérer un homme ne dépasse pas quatre-vingts ans ; sur quoi l’Éthiopien s’écria, qu’il ne s’étonnait nullement que, nourris de fumier, ils eussent si peu d’année à vivre : ils ne pourraient même pas durer si longtemps s’ils n’avaient cette boisson (il voulait parler du vin) pour se soutenir ; car sur ce point, dit-il, les Éthiopiens s’avouaient inférieurs aux Perses.

À leur tour, les Ichthyophages questionnèrent le roi sur la durée de vie des Éthiopiens et leur nourriture ; chez lui, leur dit-il, on atteignait en général 120 ans, et certains dépassaient même cet âge ; on se nourrissait de viande bouillies et l’on buvait du lait. Comme les espions manifestaient leur surprise devant une telle longévité, le roi, dit-on, les mena près d’une source dont les eaux rendaient la peau onctueuse, telle une source d’huile, et qui exhalait une odeur de violette ; l’eau y avait une si faible densité, dirent les espions, que rien ne pouvait y flotter, ni le bois, ni les matériaux plus léger encore que le bois : tout allait au fond. Si cette eaux est bien telle qu’on la décrit, il se peut qu’ils doivent à son emploi constant leur étonnante longévité2. En quittant cette source, ils allèrent visiter une prison où tous les prisonniers étaient liés de chaînes d’or ; car dans cette contrée le métal le plus rare et le plus précieux est le cuivre. Après avoir vu la prison, ils allèrent voir aussi ce que l’on appelle la table du Soleil.

Pour fini, on leur montra les sépultures des Éthiopiens, que l’on fait, dit-on, dans une matière transparente, de la façon que voici : on momifie le corps, à la manière des Égyptiens ou par tout autre procédé, puis on l’enrobe d’une couche de plâtre que l’on peint entièrement et le plus fidèlement possible à la ressemblance du défunt ; ensuite, on le glisse debout dans un étui fait d’une pierre transparent, qu’on tire en abondance de leur sol et qui se laisse facilement travailler3. Le corps enfermé dans cet étui demeure visible, il ne dégage aucune mauvaise odeur et n’a rien de répugnant, et il est en tout point exactement semblable à la personne défunte. Pendant un an, les plus proches parents du défunt gardent chez eux cet étui de pierre et lui offrent les prémices de toute chose ainsi que des sacrifices ; après quoi, ils l’enlèvent de leur demeure et le dressent aux environs de la ville.

Les espions examinèrent bien tout et s’en retournèrent. Leur rapport mit Cambyse en fureur et sur-le-champ il partit en guerre contre les Éthiopiens, sans avoir organisé son ravitaillement, sans se rendre compte qu’il allait lancer ses troupes aux extrémités du monde ; comme un possédé, en homme qui a perdu l’esprit, à peine eut-il entendu les Ichthyophages qu’il se mit en campagne, en ordonnant à ses troupes grecques de rester sur place tandis qu’il emmenait avec lui toute son infanterie. À son passage à Thèbes4, il détacha de son armée 50 000 hommes anviron et les chargea de réduire en esclavage les Ammoniens et de brûler leur oracle de Zeus ; lui-même marcha contre les Éthiopiens avec le reste de ses troupes. Mais avant même que l’armée eut parcouru le cinquième du chemin, tous les vivres qu’ils emportaient se trouvèrentt épuisés, et après les vivres ce fut le tour des bêtes de somme, qu’ils mangèrent jusqu’à la dernière. Si Cambyse avait alors ouvert les yeux, s’il avait renoncé à ses projets et fait reculer ses troupes, il aurait, après sa faute initiale, fait preuve de raison ; mais, sans tenir compte de la situation, il continua d’avancer. Tant que la terre porta quelque végétation, les soldats vécurent en mangeant de l’herbe ; mais lorsqu’ils arrivèrent au sable du désert5, certains firent une chose horrible : ils tirèrent au sort un homme sur dix et le mangèrent. Instruit de ce forfait, Cambyse craignit de voir ses soldats s’entre-dévorer : il abandonna ses projets contre l’Éthiopie, retourna sur ses pas et revint à Thèbes, après avoir perdu bien des hommes.

1 : Ces « mangeurs de poissons » habitaient très au sud les bords de la mer Érythrée.

2 : La « fontaine de Jouvence », toujours placée au-delà des limites du monde connu, s’est trouvée transférée en Amérique du sud au XVIème siècle.

3 : On a pensé au cristal de roche, au sel gemme, à l’ambre, à l’albâtre (des sarcophages d’albâtre translucide existent effectivement en Égypte), ou même, malgré ce que dit Hérodote, à de la porcelaine, ou, selon Ctésias, au verre, fondu et coulé non sur le corps, qui serait réduit en cendres, mais sur un étui d’or, d’argent ou d’argile (selon la fortune de la famille) enfermant le cadavre.

4 : De cette époque datent vraisemblablement les incendies dont les traces ont été révélées sur les édifices sacrés de Thèbes.

5 : Le but de l’expédition devait être Méroé-Napata, la ville sainte des Éthiopiens (les Nubiens-soudanais) ; les troupes de cambyse ont sans doute longé le Nil jusqu’à la seconde cataracte, puis coupé à travers le désert pour essayer d’atteindre plus vite la ville.

Pg 275-279

L’Enquête, Livre III, Hérodote, Edition d’André Barguet, folio classique.

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