Celles qui la virent furent les filles
de Kéléïos roi d’Éleusis.
Elles venaient chercher l’eau claire
pour la rapporter
avec des aiguières de bronze
dans la maison de leur père.
Elles étaient quatre, comme des déesses,
dans leur fleur de filles,
Kallidikè, Kleïsidikè,
Dèmô la jolie,
et Kallithoè qui de toutes
est la plus grande.
Sans la reconnaître (il est difficile
pour ceux qui meurent de voir les dieux)
debout près d’elle, elles lui dirent
ces paroles qui ont des ailes :
« D’où viens-tu, vieille ?
De quelle famille es-tu ?
Pourquoi restes-tu là, loin de la ville,
sans t’approcher
des maisons ? Il y a là-bas des femmes
dans l’ombre des salles
qui ont le même âge que toi,
Il y en a des plus jeunes
qui auraient pour toi de bonnes paroles
et des gestes d’accueil. »
Voilà ce qu’elles dirent ;
la déesse souveraine répondit :
« Chères enfants, qui que vous soyez
parmi les femmes qui sont femmes,
la joie soit avec vous. Je vais vous parler.
Il n’est pas malvenu que je réponde à vos questions
en disant la vérité.
Dôs est mon nom ; c’est celui
que m’a donné ma mère et souveraine.
Et maintenant j’arrive de la Crête
sur le large dos de la mer.
Je ne l’ai pas voulu. On m’a forcée
par violence, malgré moi,
des pirates m’ont emmenée.
Plus tard, leur bateau qui va vite
s’est arrêté à Thorikos1 ;
là sont montées en foule
des femmes de la terre ferme ;
quant à eux, ils avaient
préparés un repas près des amarres
du côté de la poupe.
Mais moi, cette nourriture alléchante
ma levait le cœur ;
sans être vue je suis partie
à travers la terre obscure ;
j’ai fui ces gens qui me donnaient des ordres
arrogants, et qui voulaient
alors qu’ils m’avaient eue pour rien
tirer de moi un bon prix.
Voilà comment je suis venue ici ;
j’ai erré ; je ne sais pas
comment s’appellent ce pays
et ceux qui l’habitent.
Mais, pour vous, que tous ceux qui ont
leur maison dans l’Olympe
vous donnent d’avoir de bons maris
et d’enfanter des enfants
comme en veulent tous les parents.
Et, pour moi, mes filles
que votre cœur ait pitié de moi.
Où vais-je aller, mes enfants,
chez quel homme ou chez quelle femme,
pour y travailler
de bon cœur, pour y faire
ce que fait la femme vieillie ?
Je pourrais prendre dans mes bras un petit enfançon,
je pourrais m’en occuper,
je tiendrais la maison,
au fond de la plus belle chambre
je ferais le lit
pour les maîtres, et je montrerais
aux femmes leur ouvrage. »
Ainsi dit la déesse. Tout de suite
la fille toujours fille,
Kallidikè, la plus belle des enfants
de Kéléïos, lui répondit :
« Grand- mère, ce que les dieux nous donnent,
même sans joie, il faut
l’accepter. Nous sommes humains ;
ils sont plus fort que nous.
Mais maintenant je vais te dire
clairement avec leur nom,
qui sont les hommes qui sont ici
les plus respectés,
qui sont à la tête du peuple
et qui gardent notre ville
avec ses créneaux par leurs conseils
et la rigueur de leurs sentences.
Il y a Triptolémos le très sage
et Dioklès
et Polyxénos
et Eumolpos l’irréprochable
et Dolikhos
et notre père (il est plein de vaillance)
chacun d’eux à une femme
qui veille sur tout dans la maison.
Il n’est pas une parmi elles
qui pourrait, t’ayant vue,
nier que tu aies grande allure,
et te refuser l’entrée.
Toutes te recevront.
Car tu ressembles à une déesse.
Si tu le veux, reste ici,
le temps que nous allions à la maison
de notre père et racontions
tout cela de bout en bout
à notre mère Métaneïra
(ample est son giron) ; peut-être
te voudra-t-elle chez nous
sans que tu t’adresses ailleurs.
Elle a un fils qu’elle aime plus que tout
dans son beau palais ;
c’est un enfant tard venu,
longtemps attendu, reçu dans la joie.
Tu pourrais te charger de l’élever,
et s’il atteint l’âge d’homme,
tu provoqueras bien de l’envie
chez les femmes qui sont femmes ;
elles verront la récompense
magnifique que tu auras. »
Voila ce qu’elle dit ; de la tête,
la déesse approuva. Les filles
remplirent d’eau leurs jarres luisantes
et s’en allèrent, joyeuses,
à la grande maison de leur père.
Tout de suite à leur mère,
ce qu’elle avaient vu, elles le dirent,
et entendu. Tout de suite
elle leur dit de la faire venir
pour un beau salaire.
Comme des biches, comme
des jeunes vaches au printemps
qui sautent dans la prairie,
la panse pleine de bonne herbe,
ainsi, tout en retenant les plis
de leur robe jolie,
elles allaient dans les ornières
de la route ; et leur cheveux
flottaient sur leurs épaules,
pareils à des fleurs de safran.
Sur le bord de la route elles trouvèrent
la bonne déesse, juste là
où elles l’avaient laissée.
Elles l’emmenèrent à la maison
de leur père. Pour elle, elle allait derrière,
le cœur en peine ;
elle marchait, la tête voilée.
Une robe noire
flottait autour des jambes sveltes
de la déesse.
1:Thorikos est près du cap Sounion, donc non loin d’Athènes
v.105-183
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