Et voici qu’un jour, tandis qu’avec son frère il s’entretenait dans la hutte, un Râkchasî nommé Çoûrpanakhâ1 se présenta à la porte. C’était la sœur du démon Râvana. Dès qu’elle vit Râma, elle s’enflamma d’amour pour lui et dit sans préambule :
-D’où vient-il que tu séjournes dans ces contrées hantées par mes semblables ? Par ton aspect, c’est sûr, tu es le premier des hommes ; aussi, je veux m’unir à toi. Sois mon époux ! Je puis, quand je le souhaite, changer de forme à ma guise ; je me transporte où il me plaît. Épouvantant les êtres, je cours les bois. Râvana est mon frère, le puissant maître de Lankâ ; de même Koumbhakarna, qui dort une partie de l’année. A Khara et Vibhîchana2, je suis unie par le lien fraternel. Mais je vois une femme près de toi : qui est-elle ? Je vais la dévorer, ainsi que ton compagnon ! Ainsi , nous pourrons explorer Dandaka3 selon nos caprices.
En disant cela, elle roulait des yeux passionnés vers le fils aîné de Daçaratha. Celui-ci, avec un léger sourire, lui répondit calmement :
-Cette femme dont tu veux te repaître est mon épouse bien-aimée, ô Çoûrpanakhâ ! Quant à ce jeune homme, c’est mon frère qui désire prendre femme. N’est-il pas pour toi le mari idéal ?
La Râkchasî que l’amour égarait se tourna incontinent vers Lakchmana, le regard plein de convoitise. Mais lui, désignant Râghave, rétorqua :
-Non, vraiment, Râma sied mieux à ta beauté ; ton premier choix ne t’avait pas trompée. Fais son bonheur et le tien : je saurai renoncer au mien.
Et le frère la renvoyait au frère avec des paroles ironiques. Voyant cela, Çoûrpanakhâ se jeta sur Sîta pour la tuer. Mais Râma, s’interposant, s’écria :
-Regarde, Saumitri4, cet être difforme voulait s’emparer de Maïthilî !
Châtie l’abjecte créature que sa passion enchaîne !
Lakchmana, de son épée, lui trancha les oreilles et le nez. Défigurée, ivre de rage et baignant dans son sang, Çoûrpanakhâ disparut dans les arbres en hurlant.
1: griffes acérées
2: Le Terrifiant
3: La forêt où est exilé Râma. C’est l’espace périlleux, semé d’épreuves, que doit franchir le néophyte engagé sur la voie de l’initiation. Parfois, cet espace est une rivière, il présente en ce cas un autre niveau d’interprétation : le cours d’eau devient alors « la rivière de la vie » où chaque rive figure l’un et l’autre monde.
pg 57
Le livre de la forêt; le Râmâyana; Ed. Devry.
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