L'évaluation monétaire des changements climatiques

Le problème économique du long terme a été posé de nouveau, avec plus d’éclat, par Nicholas Stern. Celui-ci, économiste réputé, a réalisé à la demande du gouvernement britannique un rapport publié en 2006 sur les conséquences économiques du changement climatique. Il a eu un retentissement mérité au sein de l’oligarchie et de l’opinion publique. Il concluait que, si rien n’est fait rapidement pour prévenir l’augmentation des gaz à effet de serre, des perturbations d’une ampleur comparable à celles provoquées par les grandes guerres mondiales et la crise de 1929 se produiront dans les deux siècles à venir.

Il est essentiel de comprendre le raisonnement qui a conduit à cette conclusion. Stern a repris la description qu’avait faite le GIEC (Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat) des dommages que pourrait occasionner le changement climatique. Il a recherché à les évaluer monétairement, puis à comparer cette évaluation au montant que coûteraient les mesures de prévention du changement prises aujourd’hui. Le raisonnement économique se présente ainsi : une somme X dépensée aujourd’hui pourrait empêcher demain un dommage de valeur Y. Du point de vue économique, il est rationnel de dépenser X si X est inférieur à Y. Sinon, mieux vaut utiliser la ressource X à d’autres fins plus agréables.

La difficulté est que sur une longue période, on ne sait pas comparer deux valeurs monétaires : que vaudra X en 2100 ? Les économistes reprennent habituellement la boutade de Keynes : « A long terme, nous serons tous morts. » Mais Jonas nous a habitués à penser que nos petits-enfants, et leur descendance, seraient, eux, vivants, et qu’il fallait en tenir compte. Du fait des conséquences des actions d’une civilisation technologique, le long terme est devenu un problème économique.

Pour comparer X et Y, les économistes recourent au « taux d’actualisation ». Il est en partie comparable au taux d’intérêt que vous avez peut-être contracté pour acheter votre logement. Mais, alors que le taux d’intérêt découle – en simplifiant – du fonctionnement du marché de l’argent, le taux d’actualisation s’applique sur des échéances trop lointaines pour que le marché puisse le déterminer. Il est donc, en fait, choisi de manière, sinon arbitraire, du moins subjective.

…………

En vérité, il n’y a pas de solution purement économique à la question du coût à long terme : on ne peut fonder le choix que sur un raisonnement éthique. Stern écrit ainsi (1) que « la seule base éthique fondée pour placer une moindre valeur de ce que sera l’utilité pour les générations futures est l’incertitude de savoir si le monde existera ou non, ou si ces générations seront présentes ». C’est logique : si l’espèce humaine ne doit plus exister dans cent ans, il n’y a aucune raison de se priver aujourd’hui…. La « probabilité de survie de l’espèce humaine » est d’ailleurs un des paramètres intégrés par Stern dans son calcul du taux d’actualisation(2). Et l’économiste de conclure : « si vous n’accordez que très peu d’importance aux générations futures, vous accorderez très peu d’importance au changement climatique. »(3)

À l’inverse, qu’est-ce qui fonde la position de Nordhaus (sur laquelle s’appuient des sceptiques notoires comme le danois Blorn Lomborg)(4) ? Sur l’hypothèse que les cent prochaine années verront la croissance se poursuivre au même rythme qu’au XXeme siècle. Dès lors, les coûts futurs seront dévalués parce que le monde futur sera plus riche et plus capable de les assumer.

Pg 102-103

(1) : Stern Nicholas, et al., Stern Review : The economics of climate change, Her majesty treasury, 2006, Part I, pg 45.

(2) : ibidem, pg 47.

(3) : ibidem, pg 48.

(4) : Lomborg, Bjorn, Cool it, Knopf, 2007, pg 32 sq. Voir aussi : Dyson, Freeman, « The question of global warming », The New York review of books, 12 juin 2008, commentant le livre de Nordhaus, William, A question of Balance, Yale University Press, 2008.

Hervé Kempf; Pour sauver la planète, sortez du capitalisme; Points; essais.

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