Les côtes de Namibie sont parmi les plus poissonneuses du monde. Un grand courant d’eau froide, riche en nutriments, y remonte en effet depuis le fond de l’océan, créant un milieu propice aux concentrations de poissons. Si bien que, lors de l’extraordinaire expansion de la pêche qui s’est déroulée partout dans le monde à partir des années 1950, la Namibie est devenue un trésor qui paraissait infini. On y a pêché dans les années 1970 jusqu’à 17 millions de tonnes de sardines, anchois et autres animaux marins. Mais le coffre avait un fond : les stocks se sont effondrés. On ne pêche plus qu’un million de tonne au large de la Namibie. Fin de l’acte I.
Acte II. Les méduses inspirent assez peu de sympathie à l’espèce humaine, qui ne les trouvent pas à son goût, et s’agace des piqûres urticantes que provoquent les filaments de certaines des ces habitantes des océans. Invertébrées, sans cerveau, animaux carnivores ne connaissant pas la satiété, les méduses mangent tout le temps. ….
Les méduses, elles, apprécient beaucoup l’activité humaine. Elles aiment que leurs prédateurs -thons et tortues- disparaissent, elles raffolent de l’excès d’azote qu’amène à la mer le ruissellement des eaux continentales, elles apprécient ce doux réchauffement climatique qui diminue les cycles d’eau froide qui les ravagent. Pour les méduses, le troisième millénaire s’annonce comme une période paradisiaque.
Acte III. Les pêcheurs de Namibie, ayant puisé tout l’été se trouvèrent fort dépourvus quand la pénurie fut venue. Presque plus un seul petit morceau de sardine ou d’anchois. Ils allèrent crier famine chez les méduses, leurs nouvelles voisines. Mais la méduse n’est pas prêteuse. Vous pêchiez ? J’en suis fort aise. Eh bien ! Nagez maintenant. Car les méduses ont envahi les eaux de Namibie, et se délectent des larves et des bébé poissons qu’elles y trouvent. Au point qu’une étude approfondie menée en 2006 a montré que la biomasse des méduses dans ces eaux dépasse de quatre fois la biomasse de poissons : 12 millions de tonnes contre 3.6 millions !
Il y a fort peu de chance que ce nouvel équilibre écologique puisse être défait pour un retour à la case précédente. Il fait écho à ce que l’on observe au large de Terre-Neuve. Cette province atlantique du Canada était naguère immensément riche en morues. La pêche s’y développa de façon excessive, les stocks dégringolèrent, le gouvernement canadien instaura un moratoire sur la pêche en 1992, espérant que l’espèce, ainsi protégée, pourrait repartir. Mais, pour des raisons que les scientifiques ne savent pas déceler, le stock de Morues reste minime. Un nouvel équilibre semble installé, bien plus pauvre que naguère.
Namibie et terre-Neuve illustre un mécanisme général et caractéristique de la situation écologique actuelle : au-delà d’un certains seuil de transformation, de prédation ou de destruction, les écosystèmes beaucoup plus larges. Par exemple, sur la capacité des régions océaniques de plusieurs millions de kilomètres carrés à absorber du dioxyde de carbone, ou celle sur l’Amazonie à résister à des sécheresses récurrentes, dès lors que sa destruction continuerait – ce qui est en fait le cas, en raison de l’alliance opérée par le président brésilien Lula avec le lobby agroalimentaire.
pg 33-35
Les méduses en Namibie : Lynam, Christopher, et al., « jellyfish overtake fish in a heavily fished ecosystem », Current Biology, Vol. 16, n°13, 2006
« La capacité de l’Amazonie » : Cox, Peter, et al., « Increasing risk of Amazonian drought due to decreasing aerosol pollution », Nature, 3 mai 2008.
Hervé Kempf; Pour sauver la planète, sortez du capitalisme; Points; essais.
]]>