Il faut clairement distinguer le libéralisme du capitalisme. Voici comment je l’entends ? Le libéralisme vise à émanciper les personnes des déterminations transcendantes et de sujétions définies par un statut acquis à la naissance. Il définit un mode d’organisation des pouvoirs dans la cité, découlant du principe selon lequel chaque citoyen dispose d’un droit égal. Celui-ci se traduit par la liberté d’expression et par la procédure de la démocratie représentative.
Quant au capitalisme, il désigne un processus historique qui se déploie depuis deux à trois siècles. Il arrive présentement à un état de suprématie sur les autres cultures où il manifeste ses plus extrêmes conséquences. Mais qu’est-il ? La discussion à son propos remplit des volumes, mais bizarrement, on en trouve rarement une définition claire. Celle d’Al Capone, rapportée par Alternatives économiques (hors série, le capitalisme, n°65, 2005, pg 5), est sans doute la plus exacte : « Le capitalisme est le racket légitime organisé par la classe dominante. » Mais la franchise d’expression de ce spécialiste pourrait nuire à la sérénité du débat, et je lui préfère une définition plus technique : le capitalisme est un état social dans lequel les individus sont censés n’être motivés que par la recherche du profit et consentent à laisser régler par le mécanisme du marché toutes les activités qui les mettent en relation.
Je distingue « économie de marché » et « capitalisme » en suivant la distinction classique qu’avait opérée l’historien Fernand Braudel (La dynamique du capitalisme, collection « Champs », Flammarion, 1985). Braudel observait qu’au long de l’histoire s’était développée une économie de marché, coexistant avec d’autres activités et d’autres modes de relation. Selon lui, le capitalisme naissait de l’économie de marché, étendant celle-ci à l’ensemble de la planète. Si la distinction posée par Braudel est féconde, sa définition était assez vague. L’économiste Karl Polanyi a pour sa part montré que ce qui définissait ce que nous appelons capitalisme, c’est la logique poussant à croire que le mécanisme du marché pouvait régir l’ensemble des activités sociales (la grande transformation, Gallimard, 1983, pg 54, 75 et 88).
Certes, écrit-il, « tous les types de sociétés sont soumis à des facteurs économiques ». Mais seule la civilisation ouverte du XIXème siècle « choisit de se fonder sur un mobile, celui du gain, dont la validité n’est que rarement reconnue dans l’histoire des sociétés humaines, et que l’on avait certainement jamais auparavant élevé au rang de justification de l’action et du comportement dans la vie quotidienne ». Pour lui, le « système du marché autorégulateur », c’est-à-dire l’idée que la rencontre de l’offre et de la demande de toute chose peut en régler l’efficace distribution, « dérive uniquement de ce principe ». Dans toutes les sociétés non capitalistes, observe-t-il, s’appuyant sur de nombreux témoignages ethnologiques, « l’homme agit de manière, non pas à protéger son propre intérêt individuel à posséder des biens matériels, mais de manière à garantir sa position sociale, ses droits sociaux, ses avantages sociaux. Il n’accorde de valeur aux biens matériels que pour autant qu’ils servent cette fin ». Or, dans le capitalisme, « la maîtrise du système économique par le marché a des effets irrésistibles sur l’organisation tout entière de la société : elle signifie tout bonnement que la société est gérée en auxiliaire du marché. Au lieu que l’économie soit encastrée dans les relations sociales, ce sont les relations sociales qui sont encastrées dans le système économique ».
pg 69-70
Karl Polanyi était un historien de l’économie hongrois, 1886-1964, forcé d’émigrer à Vienne en 1919 suite au putsh de Bélà Kun, puis à Londres lors de l’avènement d’Hitler. IL enseignera l’économie politique dans le Vermont à partir de 1940. C’est là-bas qu’il rédigera son principal ouvrage: La grande transformation.
Hervé Kempf; Pour sauver la planète, sortez du capitalisme; Points; essais.
]]>