Souffle; Chevalier et Gheerbrant; Dictionnaire des symboles

Souffle

Le souffle a universellement le sens d’un principe de vie : seule l’extension du symbole varie d’une tradition à l’autre ? Ruah, l’Esprit de Dieu qui couve sur les eaux primordiales de la Genèse, est le Souffle. C’est aussi le sens premier d’Er-Ruh (Esprit) en langage musulman. Et Hamsa le cygne qui couve l’Oeuf cosmique du Véda, est aussi un souffle. Nous avons noté à propos de la respiration que les deux phases de celle-ci, les deux souffles yang et yin, étaient évolution-involution, manifestation et résorption, kalpa et pralaya. Selon le Taoïsme des Han, à l’origine étaient neuf souffles qui, progressivement, se coagulèrent, se nouèrent pour constituer l’espace physique. L’espace intermédiaire entre le ciel et la terre est rempli d’un souffle (k’i), dans lequel l’homme vit comme un poisson dans l’eau. Ce même domaine intermédiaire ou subtil est en Inde celui de Vâyu, le vent et le souffle vital. Vâyu est le fil (sôtra) qui relie entre eux tous les mondes ; ce fil est aussi Atmâ, l’Esprit universel, qui est littéralement le souffle.

La structure du microcosme est identique à celle du macrocosme : comme l’univers est tissé par Vâyu, l’homme est tissé par les souffles. Ceux-ci sont aux nombres de cinq : prâna, apâna, vyâna, udâna et samâna, qui gouvernent les fonctions vitales, et non seulement le rythme respiratoire. En fait, prânayâma, le contrôle du souffle yoguique – dont on retrouve l’équivalent en Chine – ne s’applique pas seulement à la respiration matérielle, mais aussi à la respiration subtile, dont la première n’est que l’image. La circulation du souffle, associée à la kundalinî tantrique ou à l’embryologie taoïste ne s’applique évidemment pas à l’air- ca qui serait physiologiquement absurde – mais à des énergies vitales contrôlées et transsubstantiées1. La maîtrise de prâna entraîne celle de manas (le mental) et de vîrya (l’énergie séminale2). En mode chinois, le k’i (souffle et aussi esprit) s’unit au tsing (essence ou force) pour procréer l’Embryon d’immortalité ( Avalon A., la puissance du serpent, Lyon, 1959. ; Grison P., Le traité de la fleur d’or du suprême Un, Paris, 1966.;Guenon R., Symboles fondamentaux de Science Sacrée, Paris, 1962 ; Eliade Mircea, Forgerons et alchimistes, Paris, 1956 ; Marques-Riviere Jean, Le Taoïsme, Paris, 1950 ; Saint-Martin L. Cl. De, Tableau naturel des rapports qui existent entre Dieu, l’homme et l’Univers, Rochefort-sur-Mer, 1946 ; Silburn L., Instant et cause, Paris, 1955).

A un autre niveau du symbole, le souffle sortant des narines de Yahvé (ruah) signifie l’exercice de sa puissance créatrice ; par lui les eaux sont amoncelées ; comparée à un torrent, il en possède les vertus. Le souffle et la parole se prêtent mutuelle assistance, l’un soutenant l’émission de l’autre. La ruah de Yahvé est l’haleine qui jaillit de sa bouche, créant et entretenant la vie.

D’où le texte du Psaume 104, 29-30

Tu caches ta face, ils sont tremblants.

Tu leur retires le souffle, ils expirent

et retourne à la poussière.

Tu envoies ton souffle, ils sont crées,

et tu renouvelles la force de la terre.

Lors de la création de l’homme, suivant le récit de la Genèse, Yahvé insuffle dans sa narine un souffle de vie et l’homme auparavant inerte est animé d’une âme vivante (nephesh). On retrouve, chez les Chi’ites d’Anatolie, le terme de nefés pour désigner les chants invocatoires. La déclaration de Job possède un sens identique quand il dit : Fait par le souffle (ruah) de Dieu. Vivifié par l’haleine de Shaddaï (43,3).

Dans l’homme, le souffle de vie donné par Dieu ne saurait périr ; si la poussière retourne à la terre d’où elle provient, le souffle de vie donné par Dieu remonte vers lui (Ecclésiaste, 12,7). Privée du souffle, la chair se détruit.

Dans toutes les grandes traditions, le souffle possède un sens identique, qu’il s’agisse du pneuma ou du spiritus (Guillet J., Thèmes bibliques, Paris, 1950).

Le terme hébreu Ruah est habituellement traduit par esprit, il correspond au terme grec pneuma et au latin spiritus. Ruah, pneuma et spiritus signifie le souffle sortant des narines et de la bouche. Ce souffle possède une action mystérieuse, il est comparé au vent (Prov.30,4 ; Ecclésiaste, 1,6 ; Rois, 19,11).

Le souffle de la vie donne la vie (Genèse, 6, 3). Il modifie non seulement spirituellement, mais psychiquement et matériellement, l’homme qui en est le bénéficiaire. Qu’il s’agisse d’Othoniel, (Juges, 3, 10), de Jephté (Juges, 11,29) ou de Gédéon (Juges, 6, 34), des hommes deviennent des héros par le souffle de Dieu. L’exemple le plus typique est celui de Samson (Juges, 13, 25 et 14,6) qui ayant reçu le souffle de Dieu, déchire un lion et armé d’une mâchoire d’âne tue mille philistins (Juges, 14, 14).

Les prophètes sont les bénéficiaires de ce souffle divin, tels Saül (1 Sam, 10, 9) ; le nabi est nommé par Osée (9,7) l’homme de l’esprit. De nombreux textes font allusion à la main de Dieu, celle-ci possédant la signification de l’esprit. Si l’esprit de Dieu suscite des états passagers, il peut aussi se trouver dans un homme de façon permanente ; nous en avons aussi un exemple avec Moïse (Nombres, 11, 17, 25) et Josué (Nombres, 27, 18), David, Élisée, Elie, etc. Le souffle ou esprit de Dieu signifie, d’après Isaïe (11,2), la sagesse et l’intelligence, le conseil et la force, la connaissance et la crainte de Yahvé.

Notons que le mot Ruah est féminin dans la majorité des cas où ce terme est employé dans l’Ancien Testament. Or, en Hébreux, le féminin désigne une chose ou un être impersonnel. Si ruah signifie l’esprit, il est aussi d’usage pour désigner la parole. Mais ce souffle-esprit est la manifestation du Dieu unique, non l’attribut d’une personne divine (Paul Van Imschoot, l’esprit selon l’Ancien testament, dans Bible et la Vie Chrétienne mai-juillet, 1953, pp.7-24).

Le souffle a chez les Celtes, des propriétés magiques. Dans le récit du siège de Druin Dramhghaire, le druide Mog Ruith utilise à plusieurs reprises le souffle druidique, à la fois symbolique et instrument de la puissance des druides. Une première fois, il souffle sur les guerriers qui l’entourent et le menacent, leur donnant à tous sa propre apparence, si bien qu’ils s’entre-massacrent et qu’il peut s’échapper sans difficulté. Une deuxième fois, il souffle sur une colline que les mauvais druides (adverses) ont édifié par magie et d’où l’ennemi domine la situation. Tout s’effondre avec fracas. Une troisième fois, le druide Mog Ruith sur ses ennemis et les transforme en pierre.

C.G. Jung signale la pratique des sorciers zoulous, qui guérissent un malade en soufflant dans une oreille avec une corne de bœuf, pour chasser les esprits malins de son corps. On voit aussi, dans l’iconographie chrétienne, des scènes de la création par le Souffle de Dieu ; il est représenté par un jet lumineux, semblable à un jet de salive, qui peut guérir de la maladie et de la mort, et insuffle la vie. Le souffle humain, au contraire, est lourd d’impuretés et risque de souiller ce qu’il touche. Dans le culte de Svantevit, dieu slave tout-puissant, la veille de la cérémonie de fête du Dieu, le prêtre balayait le temple où il avait seul le droit d’entrer en prenant soin de n’y point respirer. Alors donc, chaque fois qu’il devait expirer, il courait autant de fois vers la sortie, afin que le souffle humain ne touchât pas le dieu et par cela même ne le souillât.(Mythologie des Montagnes, des forêts et des Iles, sous la direction de P. Grimal, Paris, 1963, 92)

1:transsubstantiation

  • Religieux catholique et orthodoxe : changement de toute la substance du pain et du vin en toute la substance du corps du christ et du sang de Jésus-Christ.

  • Didactique : changement complet d’une substance en une autre.

2.séminal, ale, aux (dérivé de semen : semence)

  • Didactique : relatif au sperme, aux spermatozoïdes; vieilli : liqueur séminale sperme.

  • Vieilli : relatif à la graine de la plante. Botanique : lobes séminaux, feuilles séminales : les cotylédons.

Grand Robert

Dictionnaire des symboles de Jean Chevalier et Alain Gheerbrant, Bouquins, Robert Laffont/Jupiter, 2008.

]]>

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.