Voile; Chevalier et Gheerbrant; Dictionnaire des symboles

Voile

Hijab, voile, veut dire en arabe ce qui sépare deux choses. Il signifie donc, selon qu’on le met ou qu’on l’enlève, la connaissance cachée ou révélée. Ainsi dans la tradition chrétienne monastique, prendre le voile signifie se séparer du monde, mais aussi séparer le monde de l’intimité, dans laquelle on entre dans une vie avec Dieu. Le Coran parle du voile qui sépare les damnés des élus (7,44). On doit parler aux femmes derrière un voile. Les incrédules disent du Prophète : il y a entre nous et toi un voile (41,4). Dieu ne parle à l’homme que par révélation ou de derrière un voile (42), comme ce fut le cas pour Moïse.

Un voile séparait dans le temple de Jérusalem, le Saint du Saint des Saints, un autre le vestibule du Saint. Il est dit (Matthieu, 27, 51) que, à l’instant de la mort du Christ, le voile se déchira du haut en bas. Ce déchirement montre la brutalité de la Révélation opérée par le dévoilement, qui possède une sens initiatique : La Révélation Christique est une désoccultation par rapport à la loi ancienne : Rien ne se trouve voilé qui ne doivent être dévoilé (Matthieu, 10, 26). Il en va de même dans l’Islam : Nous avons ôté ton voile ; aujourd’hui, ta vue est perçante (Coran 50, 21). Le retrait du voile – ou des voiles successifs- de la déesse égyptienne Isis représentent manifestement la révélation de la lumière. Réussir à soulever le voile, dit Novalis, dans ses Lehrlinge zu Saïs, c’est devenir immortel ; et encore : Un homme réussit à soulever le voile de la déesse de Saïs. Mais que vit-il ? Il vit le miracle des miracles- lui-même.

Al Hallâj dit : Le voile ? C’est un rideau interposé entre le chercheur et son objet, entre le novice et son désir, entre le tireur et le but. Il est à espérer que les voiles ne sont que pour les créatures, non pour le Créateur. Ce n’est pas Dieu qui porte un voile, ce sont les créatures. (Massignon L., La passion d’Al Hallaj, 2 vol., Paris, 1922, pg 699-700).

dans le soufisme, une personne est dite voilée (mahjub), quand sa conscience est déterminée par sa passion, qu’elle soit sensuelle ou mentale, de telle sorte qu’elle ne perçoit pas la lumière divine dans son cœur (Introduction aux doctrines ésotériques de l’Islam, Lyon, 1955,pg 147).

Pour les mystiques, hijâb, désignant tout ce qui voile le but, signifie l’impression produite sur le cœur par les apparences qui constituent le monde visible et qui l’empêchent la révélation des vérités. Le nafs (âme charnelle) est le centre du voilement…. Les substances, les accidents, les éléments, les corps, les formes, les propriétés sont autant de voiles qui cachent les mystères divins. La vérité spirituelle est celée à tous les hommes, excepté aux saints.

L’un des plus anciens traités de Soufisme, celui d’Hudjwiri, s’appelle le Dévoilement (kashf). De nombreux traités postérieurs portent le même nom.

Ibn ul Faridh parle des voiles du linceul des sens (Nicholson R.-A., Studies in Islamic mysticism, Cambridge, 1921, 247). L’existence est elle-même considérée comme un voile par les soufis.

Dans le Bouddhisme, ce même voile qui dissimule la réalité pure est Mâyâ ; mais Mâyâ comme Shakti voile et révèle en même temps, car si elle ne voilait la réalité l’ultime réalité- qui est l’identité du moi et du soi, du sich selbst et de la Déesse- la manifestation objective ne pourrait être perçue. Le symbole s’infléchit ici, le voile devenant, non ce qui cache, mais ce qui permet de voir, en tamisant une lumière par elle-même éblouissante, la lumière de Vérité. C’est en ce sens que l’on dit, en terre d’Islam, que la face de Dieu est voilée par 70000 rideaux de lumière et de ténèbres, faute de quoi serait consumé tout ce que son regard atteint. La même raison fait que Moïse avait du voiler son visage pour parler au peuple hébreu. L’Islam dira aussi que Dieu a revêtu les créatures du voile de leur nom car s’il leur manifestait les sciences de sa puissance, ils s’évanouiraient, et, s’il leur découvrait la Réalité, ils mourraient ( Massignon L., La passion d’Al Hallaj, 2 vol., Paris, 1922, pg 699-700) : le voile du nom préserve la créature d’une vision directe qui la ferait s’évanouir. Car la lumière solaire possède, elle aussi, une double acception symbolique : elle peut être ce qui révèle, elle peut aussi être ce qui aveugle, par son trop grand éclat, ce qui fait dire au Taï que le voile du jour cache la lumière des astres, dont le dévoilement s’effectue à la tombée de la nuit(Avalon A., La puissance du serpent, Lyon, 1969 ; Burckhardt Titus, Art and thought, Londres, 1947 ; Corbin H., Trilogie ismaélienne, Paris-Téhéran, 1961 ; Evans-Wentz Dr. W.-Y., Le Bardo’ Thödol, Livre des morts tibétain, Paris, 1923 ; Philippe Robert, La petite Philocalie1 de la prière du cœur, trad. Jean Gouillard, Paris, 1953 ; Guenon, R., Le roi du monde, Paris, 1927 ; Massignon L., les méthodes de réalisation artistiques des peuples de l’Islam, In Syria, t.2, 1921 ; Pallis marco, le voile du temple, in et trad. Nos 384/5, Paris, 1964 ; Sources orientales, le jugement des morts, IV, Paris, 1961 ; Sources orientales, la naissance du monde, I, Paris, 1959 ; Valsan M., L’initiation chrétienne, in et trad. Nos 389/90, Paris, 1965 ; Warrain Fr., La théodicée de la Kabbale, Paris, 1949). Le pouvoir séculier s’empare parfois de ce symbole pour se sacraliser. Ainsi en allait-il de l’empereur de Chine, toujours séparé par un voile de ses visiteurs, qu’il pouvait ainsi voir sans être vu, et du Calife de la période des ommyades : le chambellan de ce dernier, chargé de transmettre ces paroles pendant les audiences, portait lui-même le nom de voile ou rideau (Hajib) parce qu’il était en même temps celui qui cache et celui qui révèle.

Le voile, à la limite, peut donc être considéré davantage comme un truchement que comme un obstacle ; ne cachant qu’a demi, il invite à connaître ; toutes les coquettes le savent, depuis que monde est monde.

Le symbole se définit aussi par l’ésotérisme : ce qui se révèle en se voilant, ce qui se voile en se révélant.

1:Philocalie : du grec signifiant « amour de ce qui est beau », au sens où, en grec, le Beau se confond avec le vrai et le bon, est une anthologie de textes édifiants, visant à élever l’âme des chrétiens.(wikipédia)

Dictionnaire des symboles de Jean Chevalier et Alain Gheerbrant, Bouquins, Robert Laffont/Jupiter, 2008.

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