Les Pouvoirs d'Enki; Bottéro-Kramer; Lorsque les dieux faisaient l'homme.

Chez Enki, la faculté de créer ainsi l’abondance est articulée à deux de ces prérogatives, qui n’en sont en réalité qu’une, prise sous deux biais convergents. D’abord il est, de tous les dieux, le plus pénétrant , le plus ingénieux, le plus habile, le plus efficace. Ensuite – et ceci constitue à la fois la raison et la conséquence de cela-il est l’unique détenteur et maître de tous les « Pouvoirs » : autrement dit toutes les valeurs culturelles. C’est ainsi que, faute de mieux, je me suis finalement décidé à rendre le terme sumérien « me », fameux et sibyllin, et qui a tant fait couler d’encre assyriologique. Il est proprement intraduisible en nos langues, où il n’a pas le moindre répondant, direct ou indirect, parce qu’il évoque simultanément plusieurs champs sémantiques tout à fait séparés à nos yeux : non seulement, il a quelque chose d’ontologique, mais il s’entend tout d’abord de « secret » apanage mystérieux des dieux et mis au point par eux, et qui sont corrélatifs aux « destins », concernant pareillement, dirions-nous, la nature des choses : ce qui les constitue, les distingue et les définit, ce qui donne un sens original à leur existence chacune et conditionne son emploi particulier dans l’ordre aussi bien culturel que naturel ; il renvoie simultanément aux « facultés », aux « pouvoirs », également propres à ces hauts personnages, d’assigner, puis de faire fonctionner au mieux, en bonne règle par la collation de « noms », ces « destins », issus des « secrets » qui leur sont propres. Toute traduction d’un terme aussi dense étant également vouée à l’arbitraire et à la claudication, sauf périphrase incommode ou artificieuse, j’ai opté, non sans hésiter pour « Pouvoirs » : le lecteur dûment averti par la majuscule dont j’agrémente ce mot, ne devrait pas en oublier les autres connotations. Lesdits Pouvoirs – dans la mesure oû ils s’entendent de l’ordre de la culture- sont ici plus ou moins équiparés aux « techniques », c’est-à-dire » aux méthodes propres à utiliser, ou faire utiliser, ces Secrets et mettre en œuvre ces Pouvoirs. L’équivalence est hautement significative, et nous verrons que les me : Secrets-Pouvoirs-Techniques, pouvaient être mythiquement imaginé comme des entités matérielles, détenues par les dieux qui en avaient la maîtrise, sous une forme jamais bien définie, mais qui, à certains traits, semble voisine de celle d’ornements, de bijoux, de talismans, qu’ils gardaient sur eux ou thésaurisaient chez eux. Vu le rôle propre et constant d’Enki, dont la tradition unanime, avait fait le supertechnicien surnaturel, l’inventeur et le propagateur de la culture comme de la nature, il y a des chances qu’il ait été tenu d’emblée et comme par état pour le « maître » et détenteur originel desdits pouvoirs. Ici, toutefois, peut-être par une déférence envers Enlil, une piété et un formalisme théologique qui ont marqué un temps la pensée religieuse, supposent qu’Enki les avait reçu de Nippur, dans le temple du souverain des dieux, pour les transporter et garder chez lui à Eridu.

Pg 183-184

Lorsque les dieux faisaient l’homme, Mythologie mésopotamienne par Jean Bottéro et Samuel Noah Kramer, Bibliothèque des Histoires, nrf, Éditions Gallimard.]]>

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