Le tableau que présente l’île de Pâques est l’exemple le plus extrême de destruction de la forêt dans le Pacifique et l’un des plus extrême du monde entier : la totalité de la forêt a disparu, et toutes les espèces d’arbre se sont éteintes. Pour les Pascuans, les conséquences immédiates en furent la disparition des matières premières, la disparition de ressources alimentaires sauvages et une diminution des récoltes.
Le matières premières qui disparurent ou qui ne furent plus disponibles qu’en de bien moindres quantités regroupaient tout ce qui provenait des végétaux et des oiseaux indigènes, c’est à dire le bois, la corde, l’écorce servant à fabriquer le tapa et les plumes. Le manque de bois d’œuvre et de corde mit fin au transport et à l’érection des statues ainsi qu’à la construction des pirogues de haute mer.
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…avant que les versants ne soient dépouillés de leurs arbres pour faire place à des plantations, ils produisaient du bois d’œuvre, et on y trouve encore un peu partout des forêts de pierre, des racloirs, des couteaux, des burins et d’autres outils servant au travail du bois et à la fabrication de pirogues datant de cette époque. Le manque de bois signifiait également que les habitants n’avaient pas de combustible pour se chauffer pendant les nuits d’hiver qui, sur l’île de Pâques, sont venteuses et pluvieuses et où la température peut baisser jusqu’à dix degrés Celsius. Ils furent donc réduits, après 1650, à brûler des herbes, des graminées et des rebuts de canne à sucre et d’autres plantes cultivées pour faire du feu. Il y eut certainement de féroce affrontement pour mettre la main sur les derniers arbustes entre des habitants qui cherchaient du chaume et de petits morceaux de bois pour leur maison, du bois pour fabriquer des outils et de l’écorce pour fabriquer l’étoffe végétale. Il fallut même modifier les pratiques funéraires : il devenait impossible de pratiquer la crémation, qui aurait requis de brûler de grandes quantités de bois pour chaque corps ; on passa donc à la momification et à l’ensevelissement des os.
La plupart des ressources alimentaires sauvages disparurent. Sans pirogues de haute mer, les os de marsouins, qui au cours des premiers siècles avaient constitués l’essentiel de l’alimentation des Pascuans, disparurent quasiment des dépotoirs vers 1500, tout comme le thon et les poissons pélagiques. Le nombre d’hameçons et d’os de poisson en général diminua également dans les dépotoirs, pour ne laisser subsister essentiellement que des espèces qui pouvaient être pêchées en eaux peu profondes ou depuis le rivage. Les oiseaux terrestres disparurent complètement et les oiseaux de mer furent réduits à une population ne représentant plus que le tiers des espèces originelles de l’île de Pâques, obligés de se reproduire sur quelques îlots au large des côtes. Les noix de palmier, les pommes rosées et tout les autres fruits sauvages disparurent de l’alimentation des habitants de l’île. Les crustacés qui étaient encore consommés appartenaient à de plus petites espèces et diminuèrent en taille et en nombre avec le temps. La seule ressource alimentaire sauvage qui resta disponible sans changements fut le rat.
De la même manière qu’on assista à une diminution drastique des ressources alimentaires sauvages, on constata également une diminution des récoltes, pour plusieurs raisons. La déforestation entraîna dans certains endroits un phénomène d’érosion du sol par la pluie et par le vent, ainsi que le montre l’augmentation massive des quantités d’ions métalliques dérivés du sol qui furent transportés dans les marécages dont John Flenley a étudié les carottes de sédiments.
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Telles furent les conséquences immédiates de la déforestation et d’autres actions de l’homme sur l’environnement. Les conséquences ultérieures prirent la forme d’une famine et d’une chute démographique dramatique qui firent sombrer la population dans le cannibalisme. Les récits fait par les insulaires survivants sont graphiquement confirmés par la prolifération de petites statues appelées moaï kavanaka, qui montre des individus affamés aux joues creuses et aux côtes saillantes. Le capitaine Cook, en 1774, décrivit les Pascuans comme des êtres « petits, maigres, effarouchés et misérables ». Le nombre de sites d’habitation sur les basses terres côtières, où se concentrait la majorité de la population, diminua de 70 % par rapport à son chiffre maximal atteint entre 1400-1600 et les années 1700, suggérant une diminution identique du nombre d’habitants. Pour remplacer leurs anciennes sources de viande sauvage, les Pascuans se tournèrent vers la source la plus abondante et qui jusqu’alors n’avait pas été exploitée : les humains, dont on vit apparaître fréquemment les os non seulement dans les cimetières mais aussi (brisés pour en extraire la moelle) sur les tas de détritus des Pascuans de la fin de la période. La tradition orale des insulaires est riche de récits hantés par le cannibalisme ; la pire injure que l’on pouvait lancer à un ennemi était : « La& chair de ta mère est coincée entre mes dents. » Les chefs et les prêtres de l’île de pâques justifiaient leur statut aristocratique en prétendant qu’ils communiquaient avec les dieux et en promettant d’assurer la prospérité de l’île et des récoltes abondantes. Il étayaient cette idéologie par une architecture monumentale et des cérémonies destinées à impressionner les masses et rendues possible par des excédents de nourriture obtenus par le travail du peuple. À mesure que leurs promesses étaient discréditées, les chefs et les prêtres perdirent leur pouvoir et furent renversés vers 1680 par les chefs militaires, les matatoa. La société, autrefois complexe et unifiée, sombra dans des guerres civiles endémiques.
Pg164-166
Effondrement ; comment les sociétés décident de leur disparition ou de leur survie ; Jared Diamond ; collection Folio essais ; Gallimard ; 2006
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