De même que l’Australie, où j’ai commencé à voyager dans les années 1960, était plus britannique que la Grande-Bretagne elle-même, le Groenland qui était l’avant poste le plus lointain d’Europe, resta émotionnellement attaché à l’Europe. Cette attitude serait restée bien innocente si ces liens ne s’étaient matérialisés que dans des peignes à deux rangées de dents et dans la manière dont les bras d’un mort étaient positionnés dans la tombe. Mais cette volonté inflexible d’affirmer une appartenance européenne fut infiniment plus préjudiciable lorsqu’elle conduisit à vouloir à tout prix continuer à élever des vaches dans un climat comme celui du Groenland, à entraîner les hommes qui auraient pu participer aux récoltes de foin à la chasse dans le Nordrseta, à refuser d’adopter les techniques Inuits qui auraient pu se révéler très utiles, pour finir par mourir de faim. Pour nous qui appartenons à une société moderne et laïque, il est difficile d’imaginer pourquoi et comment les Groenlandais en arrivèrent à cette dramatique situation. Mais pour eux, qui avaient autant le soucis de leur survie sociale que de leur survie biologique, il était hors de question d’investir moins dans les églises, d’imiter les Inuits ou de se marier avec eux, car une telle attitude leur aurait fait encourir une condamnation à l’enfer éternel pour avoir simplement voulu survivre un hiver de plus sur terre. Pg397-398 Effondrement ; comment les sociétés décident de leur disparition ou de leur survie ; Jared Diamond ; collection Folio essais ; Gallimard ; 2006]]>