Le pouvoir, dans la société viking du Groenland, était concentré au sommet de la pyramide, entre les mains des chefs et du clergé. Ces derniers étaient propriétaires de la plus grands partie des terres (y compris toutes les meilleures fermes), possédaient les bateaux et avaient la mainmise sur le commerce avec l’Europe. Dans ce commerce, ils firent le choix d’importer essentiellement des marchandises qui leur conféraient du prestige ou les consolidaient : produits de luxe destinés aux familles les plus riches, vêtements sacerdotaux et bijouterie pour le clergé, cloches et vitraux pour les églises. Ils utilisèrent leurs rares navires pour partir à la chasse dans la Nordrseta afin d’acquérir les produits de luxe (comme l’ivoire et les peaux d’ours polaires) qu’ils pouvaient exporter en échange de ces importations d’articles de valeur. Les chefs avaient deux bonnes raisons d’élever de grands troupeaux de moutons qui pouvaient endommager le sol par le supâturage : la laine était le deuxième principale exportation du Groenland et elle leur permettait de contraindre les fermiers indépendants dont les terres avaient été détruites par le surpâturage de devenir des locataires de ces terres, et de se faire vassaux. Ce qui renforçait d’autant la rivalité qui opposait les grands chefs entre eux. De nombreuses innovations furent suggérées qui auraient pu améliorer les conditions matérielles des vikings : importer plus de fer et moins d’article de luxe ; employer les navires pour se rendre dans le Markland, afin de s’y procurer du bois et du fer ; fabriquer de nouveau modèles de navire, imités des embarcations Inuits ou inventés de toutes pièces ; élaborer de nouvelles techniques de chasse, là aussi en imitant les Inuits ou en changeant radicalement de méthode. Mais ces innovations étaient susceptibles de menacer le pouvoir, le prestige et les intérêts étroits des chefs. Dans une société strictement contrôlée et interdépendante comme celle du Groenland viking, les chefs étaient en position de force pour empêcher que de telles innovations soient mises en pratique. La structure sociale de la société viking créa donc un conflit entre les intérêts à court terme des détenteurs du pouvoir et les intérêts à long terme de l’ensemble de la société dans son ensemble. La plupart des intérêts qui étaient défendus par les chefs et le clergé se révélèrent dommageables à la société dans son ensemble ; les valeurs socialement partagées qui étaient à l’origine même de sa force le furent finalement de ses faiblesses. Les Vikings du Groenland parvinrent à élaborer un modèle de société européenne unique à l’avant-poste le plus éloigné de l’Europe. En même temps, ils se montrèrent capables de survivre plus de quatre cent cinquante ans. Extraits des Pg448-449 Effondrement ; comment les sociétés décident de leur disparition ou de leur survie ; Jared Diamond ; collection Folio essais ; Gallimard ; 2006]]>