Les sept méthodes de contrôle démographique de Tikopia; Effondrement ; Jared Diamond

La deuxième condition garantissant une occupation durable de Tikopia est une population stable, qui n’augmenta pas. Au cours de son premier séjour en 1928-1959, Firth avait recensé mille deux cent soixante-dix-huit habitants sur l’île. De 1929 à 1952, la population augmenta de 1,4 % par an, ce qui représente un taux de croissance modéré qui fut sans doute dépassé par les générations qui vécurent sur Tikopia dans les premiers temps de la colonisation, il y a trois mille ans. Cependant, même si l’on suppose que le taux de croissance démographique de Tikopia n’était au départ que de 1,4 % par an, et que l’île fut colonisée par une pirogue de 25 personnes, la population de cette île de seize kilomètres carrés aurait atteint le chiffre absurde de 25 millions d’individus après un millier d’année, ou de 25 000 milliards d’individus en 1929. Cette évolution est de toute évidence impossible : la population n’a pas pu continuer à augmenter à ce rythme, car elle aurait atteint son chiffre actuel de 1278 habitants dès la 283ème année qui suivit l’arrivée des premiers humains. Pour maintenir la population de Tikopia à un niveau constant après deux cent quatre-vingt-trois ans il existe six méthodes de régulation que Firth observe sur l’île en 1929, et une septième dont il apparaît qu’elle avait été mise en pratique dans le passé. Les habitants leur expliquèrent clairement que s’ils ont recours à la contraception ou à d’autres méthodes de régulation des naissances, c’est dans le bu d’éviter une surpopulation de l’île et pour faire en sorte qu’une famille n’ait pas plus d’enfants que les terres familiales ne peuvent en nourrir. Par exemple, chaque année, les chefs de Tikopia pratiquent un rituel au cours duquel ils prêchent en faveur d’une croissance zéro de la population sur l’île. …… Sur les sept méthodes de régulation de la population pratiquées à Tikopia, la plus simple était la contraception par coitus interruptus. Une autre méthode consistait à avorter, en exerçant des pressions sur le ventre de la femme enceinte proche de l’accouchement ou en posant des pierres chaudes sur son ventre. On pratiquait également l’infanticide, soit en enterrant les nouveau-nés vivants, soit en les étouffant. Les plus jeunes enfants des familles qui n’avaient que peu de terres restaient célibataires, et nombre des femmes en âge d’être mariées demeurèrent également célibataires plutôt que de devenir l’une des épouses d’un mari polygame. (Être célibataire sur Tikopia signifie ne pas avoir d’enfants et n’empêche pas d’avoir des relations sexuelles en pratiquant le coitus interruptus ou en ayant recours à l’avortement ou à l’infanticide si nécessaire.) Une autre méthode encore consistait à se suicider : on a ainsi recensé sept cas de pendaison (six hommes et une femme) et douze cas (des femmes uniquement) de noyade en mer, pour la période de 1929 à 1952. On avait plus fréquemment recours au « quasi-suicide », en prenant la mer pour un voyage très dangereux, ainsi que le firent quatre-vingt-un hommes et trois femmes entre 1929 et 1952. De tels voyage en mer furent responsables de la mort de plus d’un tiers des jeunes célibataires. On ne pouvait évidemment distinguer avec certitude lequel de ces voyages avait pour but le suicide et lequel n’était que le résultat de comportement irresponsable de la part de jeunes hommes inexpérimentés, mais la sombre perspective qui s’offrait aux plus jeunes fils des familles pauvres de devoir vivre sur une île surpeuplée pendant une période de famine dut sans doute être pris en considération. En 1929, Firth apprit qu’un Tikopien nommé Pa Nukumara qui était les plus jeune frère d’un chef encore vivant avait pris la mer avec deux de ses jeunes fils pendant une grave période de sécheresse et de famine, avec la ferme intention de trouver une fin rapide, au lieu de mourir lentement de faim sur le rivage. La septième méthode de régulation de la population n’était plus en vigueur lorsque Firth séjourna sur l’île, mais elle lui fut rapportée par la tradition orale. À un moment du XVIIème siècle, où au début du XVIIIème siècle, à en juger par ce qu’on dit du nombre de générations qui se sont succédé depuis ces événements, l’ancienne grande baie d’eau salée de Tikopia se transforma en ce qui est aujourd’hui le lac saumâtre de l’île, lorsqu’un banc de sable vint en fermer l’entrée. Ce phénomène eut pour résultat la disparition des bancs de coquillages qui avaient autrefois proliféré à cet endroit et une diminution drastique de sa population piscicole. Il s’ensuivit une famine qui frappa le clan Nga Ariki, qui à cette époque vivait dans cette partie de l’île. Ce clan tenta donc de s’approprier une plus grande étendue de terres et de côte en attaquant et en exterminant le clan Nga Ravenga. Une génération ou deux plus tard, les Nga Ariki attaquèrent également les membres restant du clan Nga Faea, qui choisirent de s’enfuir de l’île à bord de pirogue – commettant ainsi un « quasi-suicide » – plutôt que d’attendre leurs assassins sur la terre ferme. Ces récits transmis oralement sont confirmés par les preuves archéologiques qui témoignent de la fermeture de la baie et permettent de situer l’emplacement des villages. La plupart des sept méthodes permettant de conserver à Tikopia une population constante disparurent ou régressèrent sous l’influence européenne au cours du XXème siècle. Le gouvernement colonial britannique des îles Salomon interdit les voyages en mer et les conflits armés, tandis que les missions chrétiennes prêchèrent contre l’avortement, l’infanticide et le suicide. La population de Tikopia passa donc de 1278 habitants en 1929, à 1753 habitants en 1952, lorsque deux cyclones ravageurs qui balayèrent l’île en l’espace de treize mois détruisirent la moitié des cultures de Tikopia et entraînèrent une famine qui toucha une grande partie de la population. Le gouvernement colonial britannique des îles Salomon répondit à cette crise en envoyant de l’aide alimentaire d’urgence, puis tâcha de résoudre le problème sur le long terme en autorisant et an encourageant les Tikopiens, pour réduire la pression démographique sur leur île, à partir se réinstaller sur l’île de Salomon, moins peuplées. Aujourd’hui, les chefs de Tikopia limitent le nombre de Tikopiens autorisés à résider sur l’île à mille deux cent quinze individus, chiffre proche de celui du niveau traditionnellement maintenu. Pg475-479 Effondrement ; comment les sociétés décident de leur disparition ou de leur survie ; Jared Diamond ; collection Folio essais ; Gallimard ; 2006]]>

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