Lire des abstractions sur « l’explosion démographique » est une chose ; rencontrer jour après jour des rangées d’enfants tout le long de la route, en Afrique de l’Est, réclamant aux touristes de passage un stylo pour écrire à l’école en est un autre. L’impact du nombre d’habitants sur le paysage est bien visible : dans les pâturages, l’herbe est clairsemée et des troupeaux de vaches, de moutons et de chèvres paissent en nombre. Des ravines d’érosion toutes récentes sont visibles, au fond desquelles s’écoulent des flots noirs de boue descendus des prairies dénudées. Les taux de croissance démographique, en Afrique de l’Est, sont les plus élevés au monde : il est ainsi de 4,1 % l’an au Kenya, soit une population qui double tous les dix-sept ans. Cette explosion démographique est récente. Plusieurs raisons l’expliquent:l’adoption de cultures issues du Nouveau Monde (en particulier le maïs, les pois, la patate douce et la manioc), qui ont permis d’augmenter la production agricole au-delà de ce qui était possible auparavant avec les seules cultures issues d’Afrique ; une meilleure hygiène, la prévention médicale, la vaccination des mères et des enfants, les antibiotiques et une certaine maîtrise de la malaria et des autres maladies endémiques africaines ; l’unification nationale et la fixation des frontières, qui ont ouvert au peuplement certaines zones qui n’étaient auparavant que des no man’s land disputés par des pouvoirs limitrophes plus restreints. … Mais les progrès accomplis dans le domaine de la production alimentaire ajoutent au lieu de multiplier : telle avancée augmente la production de blé de 25 %, telle autre accroît la production de 20 % etc… La population, elle, s’accroît comme des intérêts cumulés, où l’intérêt lui-même porte intérêt. C’est ce qui explique la croissance exponentielle. Au contraire, une augmentation de la population alimentaire n’augmente pas encore plus la production ; elle donne lieu à une croissance arithmétique de la production alimentaire. En sorte qu’une population tendra à se développer jusqu’à consommer toute l’alimentation disponible et à ne jamais laisser de surplus, sauf si la croissance démographique est stoppée par la famine, la guerre, la maladie ou par la prise de décision préventive (par exemple, la contraception ou le retard de l’âge du mariage). L’idée, toujours répandue de nos jours, selon laquelle nous pouvons favoriser le bonheur humain simplement en augmentant la production alimentaire sans tenir simultanément la bride à la croissance démographique est vouée à n’entraîner qu’échec et frustration- à en croire du moins Malthus. Pg513-515 Effondrement ; comment les sociétés décident de leur disparition ou de leur survie ; Jared Diamond ; collection Folio essais ; Gallimard ; 2006]]>