Jeux d'opposition entre l'angoisse de ne pas pouvoir décider son propre destin et la satisfaction de la sécurité, de la délégation de responsabilité ; Henry Laborit ; La nouvelle grille.

La finalité fondamentale d’un organisme vivant est la recherche du plaisir qui s’obtient par la dominance. Aussi longtemps que celle-ci aboutit à deux types d’individus, le maître et l’esclave, l’oppresseur et l’opprimé, le dominant et le dominé, la distinction hiérarchique est simple, l’antagonisme facile. Dès qu’un système hiérarchique complexe apparaît il n’en est plus de même. Ce qui fait la solidité d’un système hiérarchique complexe, c’est qu’on y trouve à chaque niveau des dominants et des dominés. Dans un tel système , tout individu est dominé par d’autres mais domine un plus « petit » que lui-même ; le manœuvre le plus défavorisé, dans notre système social, en rentrant chez lui frappera du poing sur la table, s’écriera : « Femme, apporte-moi la soupe »et, si un enfant est un peu turbulent, il lui donnera une claque. Il aura l’impression d’être le maître chez lui, celui auquel on obéit, celui qu’on respecte et qu’on admire, tout enfant prenant son père comme idéal du moi dans sa tendre enfance. Cette domination familiale lui suffira souvent à combler son désir de se satisfaire. Par contre, dès qu’il sort de chez lui il trouvera des dominants, ceux situés à l’échelon immédiatement supérieur dans la hiérarchie du degré d’abstraction de l’information professionnelle. Et, comme le chimpanzé soumis à l’égard du chimpanzé dominant, tout son système nerveux sera en remue-ménage, en activité sécrétoire désordonnée, car dans nos sociétés modernes il lui et impossible de fuir. Il doit se soumettre. Il ne peut plus combattre sous peine de voir sa subsistance lui échapper. Il en résulte une souffrance biologique journalière, un malaise, un mal-être. Cependant cette soumission n’a pas que des inconvénients. Le travail en « miettes » qui institue une dépendance étroite de chaque individu à l’égard des autres, n’est plus ressenti seulement comme une aliénation. Alors que l’homme du paléolithique était un véritable polytechnicien à l’égard de la technique du moment, l’homme moderne est incapables quel que soit son niveau technique, de subvenir seul à ses besoins fondamentaux. Ce que l’homme moderne ressent comme une aliénation, c’est de ne pouvoir décider de son propre destin, de ne pouvoir agir sur l’environnement, dans tous les cas par un acte gratifiant pour lui-même. Mais d’un autre côté, cette absence de pouvoir de décision, sur lequel nous aurons à revenir en discutant sa réalité, le sécurise. Il sait qu’il a peu de chances de mourir de faim et que certaines responsabilités lui sont épargnées. Son déficit informationnel, source d’angoisse, est considérable et cependant il fait confiance à ceux qui sont prétendus savoir et agir à sa place. Cette confiance le sécurise. La nouvelle grille ; Henri Laborit ; Folio Essai ; Gallimard. Pg 145-146]]>

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