Solidité des structures hiérarchiques complexes; Henry Laborit ; La nouvelle grille.

Aussi longtemps que subsisteront des systèmes hiérarchiques de valeur, le plein « épanouissement de l’individu », comme il est dit dans les discours électoraux, ne sera qu’un mythe. Dans un système hiérarchique de valeur, nous l’avons vu, tout individu est dominateur de quelques-uns, et le dominé de quelques autres. Son « épanouissement » est donc impossible. La transformation qui sera sans doute la dernière à être réalisée est, à tous les niveaux de cette organisation hiérarchique, l’abandon par chaque individu, du paternalisme de type psychofamilial à l’égard de ceux appartenant à une « classe » qu’il considère comme inférieure, et de l’infantilisme à l’égard de ceux, chefs ou institution, qu’il considère comme supérieurs à lui et qui le sécurisent tout en empêchant qu’il se gratifie pleinement. Il me semble que ce qui constitue la solidité particulière de certains systèmes hiérarchiques fortement structurés comme l’armée, la magistrature ou certaines organisations comme les hiérarchies hospitalières par exemple, ne tient pas tellement à leur structure hiérarchique elle-même, terriblement contraignante, comme on a tendance à le faire croire. Elle tient au fait que l’on inculque à tout les éléments du système et quel que soit son niveau dans la hiérarchie, la notion qu’il fait partie d’une élite, différente et supérieure par ses « idéaux » à toutes les autres ; au fait qu’on élève des jugements de valeur d’une pauvreté désespérante au rang d’éthique et que par cela même l’individu est gratifié. L’uniforme, l’esprit de corps, l’esprit de « boutons » ou de casquette ou de béret, fait participer l’individu à une prétendue race de seigneurs et lui fait accepter par ailleurs son aliénation totale à la hiérarchie sans même se poser la question de savoir ce qu’est cet ensemble hiérarchisé auquel il appartient. C’est ce déterminisme faisant appel au fonctions dominatrices les plus primitives du cerveau reptilien, au narcissisme congénital, aux débauches colorées des plumages des oiseaux mâles au cours des danses nuptiales, aux automatismes sous-culturels les moins élaborés, c’est ce déterminisme inconscient que l’on dénomme « discipline librement consentie ».Bien mieux, ces systèmes paraissent généreusement désintéresses. Dans un monde dominé par le profit et la marchandise, les individus qui leur appartiennent marchent au pas, la tête haute, sans baisser les yeux vers la bouche tendue, relativement pauvres mais dignes. Cependant, demandez au lieutenant si son idéal est de terminer sa carrière comme capitaine et si son ascension hiérarchique n’est pas un facteur motivationnel dominant de son comportement. Vous les entendrez dire d’ailleurs, sans rire ou sans pleurer de tristesse, qu’ils ont vocation au « commandement ». La vocation à la découverte, ou au moins à l’imagination, semble ne jamais leur être venue à l’idée, et comme l’improvisation est généralement peu appréciée des hiérarchies, leur idéal se limite à faire appliquer le règlement de manœuvre. Leur avancement dans la hiérarchie est d’ailleurs fonction de leur soumission à celle-ci.

Or, le règlement de manœuvre n’a qu’un but : protéger le système socio-économique, mais en réalité hiérarchique, qui les paie.

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