Les paradoxes de la croissance à tout prix; Dix voies d'avenir pour neuf milliards d'humains ; Hance

er et 2 septembre 2012 annonce, en titre de ses pages économiques, « Zetes baisse ». La société Zetes, spécialisée dans l’identification des biens et des personnes, a enregistré pour le premier semestre 2012 un recul de 59 % de son bénéfice, qui reste tout de même de 12 millions d’euros. Ce recul de bénéfice se traduit par une baisse nette de la valeur de l’action de plus de 2 %. Bien que la société soit toujours bénéficiaire, cela signifie que les actionnaires perdent de l’argent. En d’autres termes, pour qu’une société privée soit considérée en croissance, il faut que le bénéfice croisse d’une année à l’autre. Une entreprise qui reste bénéficiaire mais moins que l’année précédente est considérée comme en recul et perd de sa valeur. Ce qui est recherché n’est plus le fait de faire du profit, mais celui d’augmenter en permanence ce profit par rapport à l’année précédente. Pour mieux faire le lien, on pourrait se placer dans la position d’un chef d’entreprise. Il faut donc qu’en continu son entreprise accroisse ses bénéfices pour qu’elle puisse survivre. On pourrait naïvement croire que pour qu’une entreprise soit viable et intéressante pour la société, il suffirait qu’elle vende assez de biens et de services pour payer son personnel, ses coûts de production et dégager un peu de marge bénéficiaire pour réinvestir et pour les périodes plus difficiles. Mais cette conception est dépassée depuis longtemps. Une entreprise n’est qu’un outil pour permettre à un investisseur d’accroître le capital qu’il a placé. Le capital doit s’accroître en permanence ou il disparaît. L’investisseur ne vit pas nécessairement de la croissance de son capital, mais il veut utiliser cette croissance pour accroître sa richesse. La notion même d’un investisseur est floue. Il peut s’agir de petits épargnants, de la classe moyenne ou de personnes particulièrement riches, également de banques, de grands fonds financiers eux-mêmes composés d’actionnaires ou d’autres groupes financiers, ou encore de fonds de pension porteur de l’argent des petits épargnants. Ils constituent des assemblées d’actionnaires qui répondent toutes à la même loi : faire pression sur les conseils d’administration pour qu’ils arrivent à augmenter la productivité, la compétitivité, et finalement le profit. Il faut assure une croissance du profit. De plus en plus, les actionnaires sont des gens ou des personnes morales qui ne sont pas concernés par la vie quotidienne de l’entreprise, par la dispute de deux chefs de services, par des sanitaires qui ne sont plus conformes ou par les émissions excessives de CO2 ou d’autres polluants. Les investisseurs ne connaissent pas la vie du personnel de l’entreprise, de ceux qui font accroître leur capital par leur simple travail. Ils ne connaissent pas leurs rêves, leurs désirs, leurs envies de vacances, leurs enfants, leurs difficultés de fins de mois et leurs craintes quand ils entendent à la radio que la croissance stagne et qu’il va falloir restructurer bien des entreprises, que leur pension risque de ne pas être assurée. Pour atteindre cet objectif permanent d’accroissement du profit, des décisions sont prises en prévision de ces étranges grand-messes que sont les assemblées d’actionnaires. Les dirigeants d’entreprises savent que s’ils ne présentent pas des résultats qui assurent aux actionnaires un retour sur capital toujours en hausse, ils jouent leur poste, leur avenir, leurs rêves, le bien-être de leur famille. Un seul credo : la croissance des bénéfices et de la valeur des actions. Ces actions peuvent être échangées, achetées, vendues en bourses, mais elles sont, en réalité, des fragments de vie humains. Oserait-on définir cette recherche d’accroissement du profit comme une sorte de monstre qui engloutit le travail de tant d’êtres humains, qui règle leur vie ? Le profit ne correspond plus à quelque chose de réel, mais à une mesure virtuelle de l’excédent produit, à ce qui est dégagé au-delà des besoins de la société. Pour qu’il y ait croissance du capital et du profit, il faut qu’il y ait croissance de la production, de la consommation des biens produits ou du revenu produit par les biens. Si ces conditions ne sont pas rencontrées, il faut une réduction des coûts de production, que l’on appelle de façon politiquement correcte un « accroissement de la productivité ». ainsi, la réduction des coûts devient croissance et donc augmentation de la valeur des actions. La consommation est à la fois un flux et une sorte de pompe qui aspire la production et la transforme en croissance économique. Qu’est-ce qui alimente la consommation ? Dans un premier temps, les besoins. Il faut du pain pour nourrir un être humain. Si la population mondiale croît, les besoins en pain croissent et donc il faut en produire plus. Plus de gens y travaillent, et cela est très bien puisqu’il y a plus de main d’œuvre disponible, tout le monde y trouve son compte. Pourtant, dans ce cas, la croissance de la consommation n’engendre pas une croissance du profit. L’accroissement de la production répond à la demande mais génère simplement un status quo dans les flux financiers. Proportionnellement, elle se borne à rencontrer les besoins. Pour qu’il y ait une croissance économique, il faut que le prix du pain augmente et que son coût de production diminue. Dans ce schéma, il n’est pas nécessaire que tout le monde ait du pain, mais il faut que le bénéfice final obtenu par unité de pain vendue s’accroisse plus rapidement que le coût de production à chaque unité de temps. Ce n’est pas grave si tout le monde n’a pas de pain et si tous les besoins ne sont pas couverts. S’il y a pénurie de pain, ou que l’on peut faire croire qu’il risque d’y avoir pénurie de pain, les gens accepteront de payer plus cher pour la même quantité. Même si certains ne le pourront pas. Pour réduire les coûts de production, on peut réduire les coûts de main-d’œuvre en remplaçant les boulangers par des machines, on peut réduire aussi le coûts des matières premières en rétribuant de moins en moins l’agriculteur par kilo de céréales produit et en s’assurant que moins d’agriculteurs produisent plus de céréales. Ils faut donc pousser de moins en moins de gens à travailler de plus en plus. Ceux qui travaillent pourront acheter le pain plus cher et même une chaîne Hi-fi, une voiture et des vacances all-inclusive. Les autres, ceux qui ne travaillent plus, recevront, dans le meilleur des cas, une allocation, revenu de base faible prélevé sur l’excès des bénéfices réalisés en vendant plus cher un pain qui coûte moins. Pour éviter de rogner sur cet excès de bénéfice, on peut aussi prélever plus d’impôts chez ceux qui travaillent encore pour payer l’allocation de ceux qui ne travaillent plus. Grâce à ces allocations, ces derniers pourront, pour la plupart, acheter leur pain, en échange de leur absence de possibilité de travail, indispensable dans une société qui doit réduire ses coûts pour assurer des excédents de bénéfices. Il est encore possible de diminuer le nombre de personnes qui reçoivent cette allocation, en leur expliquant que s’ils n’ont pas retrouvé de travail dans les six mois, c’est de leur faute et que ce n’est quand même pas à la collectivité de subvenir aux besoins de ceux qui ne veulent pas travailler. Voilà ce qui ressemble fort à une caricature et qui nous ramène à la phrase de Malthus. Pourtant, vous pourriez dire que, en réduisant le nombre de personnes nécessaires pour produire le pain, on peut libérer de la main d’œuvre pour produire les chaînes Hi-fi, que l’on pourra alors acheter grâce à l’augmentation du profit qui se traduit par une augmentation des revenus. Bien entendu, vous avez raison. Mais pour accroître les profits sur la production des chaînes Hi-fi, il faut aussi diminuer les coûts et donc le nombre de personnes qui travaillent dans ce secteur. Ou alors, on peut diminuer les cous sans diminuer le nombre de travailleurs mais en diminuant le salaires. C’est ce qu’on appelle la délocalisation. Dans ce cas les profits continuent à s’accroître en produisant des différences dans la distribution géographique des revenus et du travail. Lorsque revenus, travail et profit sont localisés à des endroits différents, c’est ce que l’on appelle la mondialisation. On peut aussi accroître son bénéfice en faisant prendre en charge une partie importante des coûts de production par d’autres de façon indirecte. Ainsi, les effets négatifs sur l’environnement comme la pollution des eaux, de l’air, la perte de biodiversité, les effets sur le climat, les conséquences sociales, les effets sur la santé, la gestion des déchets, etc. ne sont généralement pas comptabilisés comme coûts de production. Les économistes les considèrent comme des externalités. Ces coûts sont alors pris en charge par les collectivités qui doivent lever des impôts pour les satisfaire et donc diminuer le pouvoir d’achat de tout le monde. Paradoxalement, les bénéfices et l’accroissement des profits font généralement l’objet des impôts les moins élevés tout en nécessitant une répartition de la taxation sur tous ceux qui ne bénéficient pas de l’augmentation de ces bénéfices pour couvrir les coûts. La raison en est que, dans notre système économique, c’est la recherche des bénéfices qui en théorie constitue la pompe qui permet l’accroissement économique. Dans ce modèle taxer les bénéfices est donc inconcevable. En poussant le raisonnement à l’extrême, la nécessité d’une croissance continue des profits est une sorte de sous-produit du système économique dominant de notre société. Elle donne l’illusion d’un accroissement global des richesses qui se fait en réalité par une dualisation entre nantis et pauvres, entre Est et Ouest et Nord et Sud aussi. Si le profit généré pouvait être réinjecté en permanences, de manière à couvrir les besoins d’éducation, de santé, de bien-être, de reconnaissance, de travail de chacun dans la société, ce serait parfait. Mais c’est impossible, puisque cela réduirait les possibilités d’accroissement des profits en augmentant les coûts. Le profit se concentre donc dans une frange de la population qui justifie cet état parce qu’elle possède le capital, c’est elle qui prend les risques d’investissement et doit donc être rémunérée en conséquence. Dix voies d’avenir pour neuf milliards d’humains ; Thierry Hance ; Ed. Racine, 2012; Pg48-52  ]]>

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