Ce que « veut » la sélection naturelle et ce qu'un individu désire; Wright ; l'animal moral.

1. Dans le cas des chimpanzés, l’affaire est plus délicate. Le mâle dominant peut avoir toutes les femelles qu’il désire, mais ce n’est pas nécessairement parce qu’elles le préféreront ; il aura interdit toute liberté de choix en effrayant les autres mâles. Il peut également effrayer les femelles, si bien que le rejet des mâles de second rang peut aussi bien ne refléter que la peur des femelles. (il est à noter que le phénomène de rejet disparaît dès lors que le mâle dominant a le dos tourné2.) Mais il existe chez les chimpanzés un genre d’union tout à fait différent : une fréquentation intime, soutenue, qui peut ressembler au flirt humain. Un chimpanzé mâle et une femelle quitteront ainsi la communauté pendant plusieurs jours, parfois des semaines. Et bien qu’il soit toujours possible d’enlever une femelle qui se refuse, il peut arriver à celle-ci de voir sa résistance couronnée de succès. D’autre fois, elle cédera avec docilité, au grand dam des autres mâles qui l’auraient volontiers aidé à résister davantage3. En réalité, même le fait de céder sous la contrainte implique une forme de choix. Les femelles orangs-outangs en sont un bon exemple. Elles semblent souvent exercer un choix en élisant tel mâle plutôt que tel autre. Mais il arrive qu’après avoir tenté de résister, elles soient prises de force et violées – si tant est que le mot puisse s’appliquer à des animaux. On a la preuve que les violeurs, souvent des adolescents, ne réussissent généralement pas à féconder la femelle4. Mais supposons qu’ils y parviennent avec une certaine régularité, alors une femelle aura intérêt, en terme purement Darwiniens, à copuler avec un bon violeur,, un solide et grand mâle de la catégorie des sexuellement agressifs ; sa progéniture mâle n’en sera que plus grande, plus solide et sexuellement plus agressive (en admettant que l’agressivité sexuelle varie, au moins pour partie, en fonction des différences génétiques) et, de ce fait, prolifique. Ainsi la sélection naturelle devrait-elle encourager la résistance des femelles (à condition que cela ne porte pas préjudice), moyen le plus sûr d’éviter d’avoir pour fils des violeur incapable. Cela ne veut pas dire que la femelle primate -ses protestations mises à part- en ait une « envie folle », comme le supposent généralement des mâles humains. Au contraire, plus une femelle orang-outan en aura « envie », moins elle résistera et moins son mécanisme de protection sera puissant. Ce que « veut » la sélection naturelle et ce qu’un individu désire ne sont pas forcément deux choses identiques ; et dans ce cas précis, on note un certain désaccord. En fait, même quand les femelles ne manifestent pas de préférence particulières pour certains types de mâles, elles peuvent concrètement, préférer un mâle donné. Et la retenue de facto peut se révéler une retenue de jure. Ce peut être une adaptation, encouragée par la sélection naturelle précisément à cause de son effet filtrant. La même logique pourrait s’appliquer, plus largement, à n’importe quelle espèce de primate. Dès lors que les femelles commencent à opposer une petite forme de résistance, celle qui manifeste d’une résistance légèrement plus prononcée témoigne de sa valeur propre. Si difficile soit-il de vaincre cette résistance, les fils de celles qui en font montre auront plus de prix que ceux des femelles qui résistent plus mollement.(ce qui suppose à nouveau que la capacité plus ou moins avérée des différents mâles à surmonter ces difficultés reflète des différences génétiques sous-jacentes.) En termes purement darwiniens, on peut donc dire que la retenue féminine est à elle-même sa propre récompense. Cela reste vrai, que les méthodes d’approche du mâle soient verbales ou physiques. 1 :Wolfe Linda D., « Human Evolution and the sexual behavior of Females primates », in Loy, James D, et Peters, Calvin B., Ed., Understanding behavior, New-York, Oxford University press, 1991, pp.136-137 ; Stewart Kelly J., et Harcourt Alexander H., « Gorillas : Variations in females relationships », in SMUTS et alii (primates societies, Chicago, University of Chicago Press, 1987) ; 1987 2 : De Waal, Frans, Chimpanzee Politics (1982), Baltimore, John Hopkins University Press, 1989 ;Pg 168 3 : Goodall Jane, The Chimpanzees of Gombe : Patterns of behavior, Cambridge, Massachusetts, Harvard University Press ; 1986 ; Pg 453-466 4 :idem 1 ; Pg 130 L’animal Moral, Psychologie évolutionniste et vie quotidienne ; Robert Wright ;Folio Documents ;Pg 87-90]]>

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