On peut en effet admettre qu’une motivation fondamentale ne disparaîtra pas, à savoir la réponse à l’angoisse existentielle, autrement dit à l’angoisse de la mort. Cette angoisse qui prend à la gorge tout être humain dès qu’il a conscience d’être et qui en la quitte qu’à la mort, les sociétés contemporaines font un effort constant pour l’occulter car elle gêne leur finalité de production de marchandises. On peut se demander même si ce n’est pas un facteur important de l’établissement des hiérarchies. Quand on est préoccupé par sa promotion sociale on l’est moins par la signification de sa propre existence et l’on redevient plus efficace dans un processus de production. On peut se demander si celui qui réussit le mieux dans un tel processus, celui dont l’élévation hiérarchique est la mieux assurée, n’est pas finalement l’être le moins humain, le moins conscient, le plus aveugle, je serais tenté de dire le moins « intelligent », le plus automatisé, le plus satisfait, le plus gratifié par sa dominance, le moins inquiet, le véritable « imbécile heureux ». Et si je ne puis m’interdire une certaine tendresse pour la jeunesse actuelle, pour le hippie, le contestataire, le révolté, l’agressif malheureux, le raté social, c’est que bien souvent il a perçu obscurément l’angoisse existentielle et n’a pu se satisfaire de la promotion sociale qu’on lui proposait en échange de la soumission au système. Je suis aussi tenté de reprocher au idéologies révolutionnaires de tenter de canaliser cette angoisse à leur profit, c’est-à-dire au profit des groupes de recherche de la dominance. Bien sûr, ce n’est qu’en arrachant celle-ci à ceux qui la possèdent déjà qu’un autre système peut être mis en place. Mais le fait de fournir des grilles rigides pour canaliser l’action nécessaire à l’apaisement de l’angoisse, interdit en même temps la recherche imaginaire et la compréhension des mécanismes d’établissement des structures d’aliénation contemporaine. Ce faisant, on ne peut que remplacer un système de dominance par un autre. La nouvelle grille ; Henri Laborit ; Folio Essai ; Gallimard. Pg 201]]>