Société sans statut; Wright ; l'animal moral.

1.» Darwin eût-il médité un peu plus longuement cette idée, il aurait commencé à se demander si les Fugéens étaient vraiment un peuple où régnait une «parfaite égalité». Naturellement, aux yeux d’un riche Anglais, élevé parmi des domestiques, une société toujours au bord de la famine peut paraître fortement égalitaire. Il n’y verra aucune riche démonstration de standing, ni de disparités criantes. Mais la hiérarchie sociale peut prendre plusieurs formes, et il semble bien qu’il en existe une dans toutes les sociétés humaines. On a mis longtemps à prendre conscience du phénomène. Notamment parce que, comme Darwin, nombre d’anthropologues du XXème siècle, issus de sociétés à forts clivages sociaux, ont été saisis et parfois charmés par la relative absence de classes sociales dans les sociétés primitives. Ces anthropologues étaient également soumis à une fois pleine d’espérance en la malléabilité presque infinie de l’esprit humain, foi essentiellement nourrie par Franz Boas et ses célèbres disciples, Ruth Benedict et Margaret Mead. Le préjugé de Boas contre la nature humaine était, à certains égards, louable : c’était une réaction bien intentionnée, allant à l’encontre des grossières extensions politiques du darwinisme, qui avaient admis pauvreté et autres maladies sociales comme des phénomènes « naturels ». Mais un préjugé bien intentionné n’en demeure pas moins un préjugé. Boas, Benedict et Mead ont écarté des pans entiers de l’histoire de l’humanité2. Et, parmi eux, la profonde aspiration de l’homme à avoir un statut, et la présence, apparemment universelle, de la hiérarchie. Plus récemment, des anthropologues darwinisants se sont penchés sur la question de la hiérarchie sociale. Ils l’ont trouvé partout, même là où elle paraissait le plus improbable. Les Aches, une tribu d’Amérique du Sud économiquement basées sur la chasses et sur la cueillette, semblent à première vue respecter entre eux une égalité idyllique. La réserve de viande est commune, de sorte que les meilleurs chasseurs peuvent leurs voisins moins chanceux. Cependant, à y regarder de plus près, dans les années 80, les anthropologues ont découverts que les meilleurs chasseurs, bien que généreux en viande, accumulaient par ailleurs un bien beaucoup plus essentiel. Ils avaient davantage de liaisons extraconjugales et d’enfants illégitimes que les chasseurs moins doués. Et leur progéniture avait davantage de chance de survivre, parce qu’elle faisait apparemment l’objet d’un traitement de faveur3. En d’autres termes, une réputation de bon chasseur confère à celui qui en jouit, un grade informel, dont l’influence joue aussi bien sur les hommes que sur les femmes. A première vue, les Akas, Pygmées du centre de l’Afrique, semblent aussi ne pas connaître de hiérarchie : ils n’ont ni « chef » ni dirigeant politique suprême. Mais il existe chez eux un homme qu’ils appellent Kombeti, et qui influence subtilement mais fortement les grandes décisions du groupe (et il doit souvent cette fonction à ses prouesses de chasseur). Et il s’avère que c’est au Kombeti qu’échouent le meilleur de la nourriture, mais aussi les femmes et les enfants4. Ainsi plus on réexamine toutes ces sociétés à la lumière, peu flatteuse, de l’anthropologie darwinienne, plus on doute qu’aucune société humaine véritablement égalitaire ait jamais existé. Certaines sociétés sans sociologues peuvent ne pas connaître le concept de statut, et pourtant elles ont des statuts. Certains individus y occupent une position élevée, d’autres non, et tout le monde sait qui est qui. 1 : Voyage, pg 183-184 2 : voir Freeman Derek, Margaret Mead and Samoa/ the making and unmaking of an anthropological myth, Cambridge, Harvard University Press, 1983 ; Brown Donald E., Human Universals, New-Yoork, McGrawhill, 1991, en particulier le chapitre III ; et Degler 1991 3 : voir Hill Kim et Kaplan Hillard, « Trade-offs in male and female reproductive strategies among the Ache », première et seconde partie in Betzig Laura, Borgerhoff Mulder Monique et Turke Paul, éd. Human reproductive behavior : A Darwinian perspective, new-York, Cambridge university press, 1988, surtout pg 282-283 4 : Hewlett 1988. Les différences en termes de fertilité entre les kombeti et les autres hommes (une progéniture de 7.89 contre 6.34) n’étaient pas statistiquement probante, car seulement neuf kombeti ont été étudiés ; mais tout porte à croire que cette démonstration se serait avérée si on avait eu les moyens de la mener jusqu’au bout. Les autres cultures où nous trouvons un lien entre le statut et le succès reproductif sont les Efé du Zaïre et les Mukogodo du Kenya. A ce sujet voir Betzig « Where are the bastards daddies ? », behavioral and brain sciences, 16, 1993, og 285-295 ; « Sex, succession, and stratification in the first six civilisations », in Ellis, Lee, éd. Social stratification and socioeconomic inequality, New-York, Praeger, 1993 et « Despotism and differential reproduction/ a darwinian view of history », New-York, Aldine de Gruyter, 1986). Napoléon Chagnon (« Is reproductive success equal in egalitarian societies ? » in Chagnon et Irons William, éd. Evolutionary biology and sicial behavior : an anthropological perspective, North Scituate, Massachussetts, Duxbury Press, 1979) fut l’un des premiers à remarquer les chances inégales en matière de reproduction dans les sociétés dites « égalitaires ». L’animal Moral, Psychologie évolutionniste et vie quotidienne ; Robert Wright ;Folio Documents ; Pg 382-384]]>

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