Si le profit individuel lié à celui de l’entreprise n’existe plus, s’il devient un profit collectif, celui de l’État, on pourrait croire que la motivation ayant changé, l’anarchie économique et l’absurdité du système précédent doivent disparaître. Or l’expérience montre en réalité qu’ils sont autres, non pas qu’il n’y ait plus de motivation du tout, bien que ce soit le cas pour beaucoup d’individus dans un tel système. La motivation qui commande à la recherche de la dominance existe toujours. Il existe tous les passages entre bien individuel, privé et bien collectif, car la collectivité peut être de plus ou moins grande importance : locale, régionale, nationale. Ce qui semble pouvoir définir le bien collectif dans un système collectiviste, c’est qu’il est obtenu grâce à un capital collectif. Cependant, son utilisation ne résulte pas d’une décision collective mais de celle de bureaucrates ou de parlementaires distribuant les deniers de l’État. Il existe alors une telle distance entre le travail individuel et la gratification collective que l’on comprend que la motivation, lorsque le travail aboutit à l’abandon de la plus-value à l’État et à sa redistribution sans possibilité de contrôle directe de son emploi, sont considérablement réduite. D’autre part, ce qui est redistribué individuellement par l’État, le salaire, l’est suivant une échelle hiérarchique. Celle-ci comme partout, dans les sociétés technicisées, est fondée sur le degré d’abstraction dans l’information professionnelle. Mais elle l’est aussi sur la soumission aux règles du système, sur la connaissance et l’application stricte de l’idéologie, puisque c’est elle qui permit la dominance et le maintien des hiérarchies. Même si l’échelle des salaires est beaucoup moins étendue qu’ailleurs, elle existe. Mais, comme l’utilisation des salaires pour une gratification consommable est beaucoup moins facilement réalisable, l’échelle des salaires a moins besoin d’être étalée. Un petit nombre de privilégiés du régime seulement se trouve favorisé. On comprend que dans un tel système, malgré une diminution de la production des biens inutiles, l’absence de motivation en vue d’actes gratifiants individuels soit une entrave à la production globale. D’autre part, comme la finalité du système est restée la même, à savoir la productivité alors que cette productivité orientée surtout vers les biens collectifs et la défense nationale, est mal ressentie comme gratification individuelle, que l’individu se trouve uniformisé sur le plan de la consommation comme sur celui de la pensée politico-sociale, la rentabilité du système ne paraît pas améliorée par la disparition de la motivation individualiste du profit. Celle-ci est remplacée par la recherche de l’ascension hiérarchique dans les cadres de la bureaucratie dispensatrice du pouvoir. La nouvelle grille ; Henri Laborit ; Folio Essai ; Gallimard. Pg 237-238]]>