Le meilleur, chez Freud, c’est sa compréhension de notre paradoxe : être un animal éminemment social, être au fond de nous libidineux, rapaces et, de manière générale, égoïstes, tout en ayant à vivre en parfaite civilité avec d’autres êtres humains – c’est-à-dire devoir atteindre nos objectifs animaux par de torteux sentiers de coopération, de compromis et de retenue. C’est de ce point de vue que découle l’idée la plus essentielle de Freud sur l’esprit : il est le lieu des conflits entre pulsions animales et réalité sociales. Paud D. MacLean nous offre une vision biologique de ce type de conflits. Il qualifie le cerveau humain de cerveau «trin», dont les trois parties fondamentales résument notre évolution : un noyau reptilien (siège de nos instincts élémentaires), entouré d’un cerveau «paleomammifère» (qui a notamment doté nos ancêtres de l’affection pour la progéniture), lui-même entouré d’un cerveau «neomammifère». Le volumineux cerveau «neomammifère» nous apporte le raisonnement abstrait, le langage et, peut-être l’affection (sélective) pour des personnes étrangères à la famille. Il est, écrit MacLean, «un domestique qui rationalise, justifie et donne une expression verbale aux parties protoreptilienne et [paleomammifère] limbaires de notre cerveau»1. Comme beaucoup de schémas bien pensés, celui-ci peut-être d’une trompeuse simplicité, mais il saisit une (peut-être la) caractéristique décisive de notre trajectoire évolutive : trajectoire qui va de la solitude au social, et au cours de laquelle la quête de la nourriture et de la sexualité devient une entreprise de plus en plus subtile et élaborée. Le «ça» freudien – monstre tapis dans les fondations- s’est probablement développé à partir du cerveau reptilien, produit de l’histoire évolutive présociale. Le «surmoi» – grosso modo la conscience- est une invention plus récente. Elle est la source de différentes formes d’inhibition et de culpabilité, destinées à maîtriser le ça d’une façon génétiquement rentable : c’est le surmoi qui nous empêche, par exemple, de porter tort à nos frères et sœurs et de négliger nos amis. Le «moi» est la partie qui se trouve au milieu. Ses objectifs inconscients sont ceux du ça, et pourtant il les poursuit en calculant à long terme, attentif aux avertissements et aux réprimandes du surmoi. Randolph Nesse et le psychiatre Alan T. Lloyd ont mis en évidence une adéquation entre les vues freudiennes et darwiniennes du conflit psychique. Ils voient dans le conflit un affrontement entre des avocats concurrents, affrontement produits par l’évolution pour produire de bons conseils, tout comme la tension entre les membres d’un gouvernement est conçue pour produire une bonne administration. Le conflit fondamental – le discours fondemantal – se situe «entre motivation égoïste et altruiste, entre recherche du plaisir et conduite normative et entre intérêts individuels et collectifs. Les fonctions du ça correspondent au premier terme de chacun de ces doublets, tandis que les fonctions du moi/surmoi correspondent au second». Et la vérité fondamentale, dissimulée derrière le seconde moitié de la proposition, réside dans «les bénéfices que l’on tire, a posteriori, des relations sociales.2 1 :MacLean Paul D., «A Triangular brief on the brain evolution and law», in Gruter, margaretet Bohannan Paul, Law, Biology, and culture, Santa Barbara, Californie, Ross Erikson Inc.,1983, p 88. Pour un survol rapide de l’évolution du cerveau, consulter Jastrow Robert, The enchanted loom:Mind in the universe, New York, Simon and Schuster ; 1981 2 :Nesse Randolph et Lloyd Alan, «The evolution of psychodynamic mechanisms» in Barkow Jerome H., Cosmides Leda et Tooby John, The adapted mind :Evolutionary psychology and the generation of culture, New York, Oxford University press ; 1992, p 164 L’animal Moral, Psychologie évolutionniste et vie quotidienne ; Robert Wright ;Folio Documents ; Pg 520-522.]]>