Une culture instrumentalisée ne remet rien en cause ! ; Laborit 

La culture en effet, c’est d’abord ce qui est inutile. L’art, c’est ce qui ne sert à rien, ce dont on pourrait fort bien se passer. C’est le surplus que l’on peut s’offrir quand on a déjà le réfrigérateur, les voitures et les résidences secondaires, et ce qui peut même, avec un peu d’habileté, devenir aussi une marchandise et améliorer le capital. C’est la seule chose, dans une société de boutiquiers et de trafiquants, qui donne bonne conscience, fière allure, qui marque le désintérêt. C’est le souvenir de l’ancienne classe dominante, oisive et inutile, celle des salons et des cours, des particules et des plumets, qui traîne encore dans l’atmosphère irrespirable de nos cités modernes. Le Bourgeois Gentilhomme n’est pas mort, il s’est même reproduit avec une rare efficacité. Il était essentiellement prolifique. C’est cette culture, séparée du vivant, cette culture-colifichet, qu’on propose au peuple pour qu’il ait l’illusion avec elle d’améliorer son standing, sa situation hiérarchique, l’illusion de se gratifier. Or cette information culturelle n’est pas inutile, mais comment l’interpréter, comment même la comprendre, sans code sociobiologique qui lui restitue sa signification, qui permet d’inclure son message dans l’ensemble des comportements humains en situation sociale au cours de l’histoire ? Le créateur, ses motivations, la nature de son angoisse, se recherche infructueuse du plaisir, ses automatismes socioculturels, le matériel utilisé par son imaginaire, son inconscient pour tout dire, s’inscrivent dans l’histoire de l’homme social d’une époque. De même, la façon dont il est compris, dont son œuvre est décodée pour lui-même, pour le groupe, par ceux qui le reçoivent, n’est pas un phénomène isolé de la biologie des comportements. C’est avant tout un phénomène biosociologique qui s’inscrit dans un système, dans une information-structure, dans une hiérarchie de dominance. Alors, là encore on peut bien écrire des volumes sur les œuvres que nous laissent les créateurs, en enfilant les mots comme les perles d’un collier, en fournissant un discours logique pour interpréter la logique du rêve qui, lui, ne connaît que la biochimie complexe du fonctionnement nerveux, et appeler ça culture. Il est probable qu’il ne s’agit que d’un apprentissage supplémentaire dont l’avantage réside surtout dans le fait que l’absence de références expérimentales laisse une grande latitude à l’expression d’une prétendue originalité, que les automatismes techniques rendent si rare aujourd’hui. Comme cette originalité d’opinion n’a pas de conséquences sur le processus de production individuel et a peu de chance de transformer seule la structure sociale, les hiérarchies ont tout intérêt à développer dans les masses ce mécanismes gratifiant qui ne risque pas de contester leur dominance. Il peut même être utilisé par elle pour la consolider. La nouvelle grille ; Henri Laborit ; Folio Essai ; Gallimard. Pg270-271]]>

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