Agriculture et santé; Diamond

Outre la malnutrition, les famines et les maladies épidémiques, l’agriculture a eu également une autre conséquence négative : la stratification sociale. Les chasseurs-cueilleurs ne possèdent que peu, voire pas du tout, de réserves de nourriture, et leurs sources alimentaires en se présentent jamais de façon concentrée, comme peuvent l’être les vergers ou les troupeaux de bovins. Ils subsistent grâce aux plantes et aux animaux sauvages qu’ils cueillent ou chassent quotidiennement. Tout le monde, sauf les tout-petits, les malades et les vieux, participent à la recherche de nourriture. Par la suite, il n’y a chez eux pas de rois, pas de personnes spécialisées à plein temps dans un métier particulier, pas de classe de parasite sociaux profitant des moyens de subsistance prélevés par les autres.

C’est seulement dans les populations d’agriculteurs qu’a pu se développer une scission entre la masse victime de maladies et une élite non productive jouissant de la santé. Les squelettes trouvés dans les tombes de Mycènes (en Grèce) datant de 1500 ACN laissent penser que les membres de la famille royale bénéficiaient d’un meilleur régime alimentaire que les hommes du commun, car les squelettes des premiers étaient de 5 à 7.5 cm plus grands que ceux des seconds et possédaient de meilleures dents (en moyenne par individu, une affection – carie ou dent manquante – chez les premiers contre six chez les seconds). Dans les cimetières chiliens, datant de l’an 1000, les momies appartenant à l’élite sociale se distinguent non seulement par leur ornements et leurs barettes en or, mais aussi par une fréquence quatre fois inférieure de lésions osseuses provenant des maladies infectieuses.

Ces différences de conditions de santé repérables au niveau local dans les sociétés agricoles du passé s’observent actuellement au niveau mondial. Aux yeux de la plupart des lecteurs américains ou européens, la thèse selon laquelle les chasseurs-cueilleurs ont sans doute mené une vie plus enviable que la nôtre aujourd’hui peut passer pour un boniment, parce que la plupart des hommes vivant dans les sociétés industrielles de nos jours jouissent d’une meilleure santé que celle de la plupart des chasseurs-ceuilleurs. Ce serait oublier que les américains et les européens représentent une élite dans le monde d’aujourd’hui, dont l’existence est assurée grâce à l’importation de pétrole et d’autres matériaux provenant d’autres pays où de vastes populations de paysans connaissent des conditions de santé beaucoup plus précaires. À choisir entre la vie d’un américain de la classe moyenne, celle d’un chasseur-cueilleur bochiman ou bien encore d’un paysan agriculteur d’Ethiopie, qui, enclin à donner la priorité aux conditions de santé, opterait pour le troisième choix, puisqu’il correspond aux conditions de santé les moins bonnes ?


Jared Diamond ; Le troisième chimpanzé ; Folio essai ; p 341-343

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