Nous…. Et les autres ; Diamond

A l’instar des hyènes appartenant aux clans de Scratching Rock et de Mungi, les êtres humains ont jadis pratiqué une double norme de comportement : de puissantes inhibitions leur interdisaient de tuer l’un des « leurs», mais rien ne les empêchait de tuer les « autres», lorsque cela pouvaient se faire en toute sécurité. Le génocide était envisageable dès lors qu’existait cette dichotomie, indépendamment de savoir si celle-ci découlait d’un instinct génétique programmé ou d’une forme d’étique propre à l’homme. De nos jours encore, nous faisons tous durant l’enfance l’apprentissage d’un certains nombre de critères arbitraires, en fonction desquels nous classons les êtres humains de façon dichotomique, les uns étant jugés respectables, les autres méprisables. Je me rappelle une scène vécue à l’aéroport de Goroka sur les hautes terres de Nouvelle-Guinée : j’étais en compagnie de mes aides de terrain, des Néo-Guinéens appartenant à l’ethnie des Tudawhe, qui se tenaient gauchement, avaient les pieds nus et portaient des chemises déchirées, lorsque s’approcha un blanc mal rasé, crasseux, le chapeaux cabossé enfoncé sur les yeux, parlant avec un fort accent australien. Avant même qu’il ait commencé à se moquer méchamment de mes assistants, les traitants de «clodos noirs, qui seront bien incapable de gérer ce pays avant un siècle», je me surpris à penser que ce péqunot australien devrait retourner s’occuper de ses foutus moutons. L’un et l’autre, spontanément, nous nous étions fondés sur des caractéristiques globales saisies d’un coup d’oeil.

Avec le temps, cette dichotomie de classement des êtres humains est devenue de plus en plus inacceptable comme base d’un code éthique. Il s’est, au contraire, développé une tendance à respecter, au contraire, développé une tendance à respecter, au moins en paroles, une morale universelle en fonction de laquelle tous les êtres humains doivent être traiter selon les mêmes règles. La pratique du génocide est donc devenue contradictoire avec cette morale universelle. Mais, au siècle dernier, ce n’était pas encore le cas. Quand le général argentin Julio Argentino Roca ouvrit les pampas à la colonisation par les européens en exterminant impitoyablement les Araucans, les Argentins, enchantés et reconnaissants, l’élirent comme président de la république en 1880.

Des mécanismes de défense existent chez les exécuteurs. Ainsi, la plupart des personnes qui adhèrent à la morale universelle considèrent, cependant, que l’autodéfense est toujours justifiée. C’est une justification commodément élastique, car il est pratiquement toujours possible d’induire les «autres» à faire quelque acte à partir duquel il sera légitime d’invoquer l’autodéfense. Par exemple, les Tasmaniens ont fourni une excuse toute trouvée aux colons blancs qui les ont exterminés : ils ont tué, au total, cent quatre-vingt-trois de ces derniers en trente-quatre ans, estime-t-on (faut-il rappeler qu’ils ont eux-mêmes été les victimes d’un nombre bien plus grand d’actes violents, comprenant des mutilations, des enlèvements, des viols et des meurtres?). Hitler a invoqué l’autodéfense lorsqu’il a déclenché la seconde guerre mondiale, simulant une attaque d’un poste frontière allemand par le Polonais.

Une seconde justification traditionnellement invoquée tient au fait que les victimes ne pratiquent pas la «bonne» religion , n’appartiennent pas à la bonne race ou ne partagent pas la bonne opinion politique, à l’encontre du groupe des exécuteurs, ou bien encore que ce dernier représente le progrès ou un stade plus élevé de la civilisation. Lorsque j’étais étudiant à Munich, en 1962, des nazis non repentis m’ont encore expliqué que les allemands avaient été obligés d’envahir la Russie, puisque le peuple russe avait adopté le communsime. Mes quinze aides de terrain dans les Monts Fakfak de Nouvelle-Guinée me semblaient parfaitement semblables les uns aux autres, jusqu’à ce qu’ils entreprennent de m’expliquer lesquels étaient chrétiens, lesquels étaient musulmans, et pourquoi les premiers (ou les seconds) étaient irrémédiablement des êtres humains de second rang. Il existe une hiérarchie presque universelle admise dans les domaines des jugement de valeur, en fonction de laquelle les peuples dotés de l’écriture et d’une métallurgie développée (par exemple, les colons blancs en Afrique) se considèrent supérieurs aux peuples pasteurs (par exemple les Tutsis ou les Hottentots), lesquels se perçoivent supérieurs aux peuples d’agriculteurs (par exemple, les Hutus), lesquels s’estiment supérieurs aux chasseurs-cueilleurs (par exemple, les Pygmées ou les Bochimans).

Finalement, au regard de notre morale, les êtres humains et les animaux n’ont pas la même valeur. Par suite, les responsables de génocides à notre époque appliquent fréquemment à leurs victimes un registre animalier, afin de justifier leurs actes : les nazis considéraient les juifs comme de la vermine ; les colons français d’Algérie appelaient le musulmans des «ratons» ; les paraguayens d’origine européenne décrivaient les Indiens Aché (des chasseurs-cueilleurs) comme des rats féroces ; les Boers appelaient le Africains des «bobbejaan» (babouins) et les Nigérians du nord «civilisés» tenaient les Ibos pour des parasites1.

1 : En Anglais de nombreux noms d’animaux sont utilisés comme adjectifs péjoratifs («ape» [singe] ; «bitch» [chienne] ; «cur» [roquet] ; «dog» [chien] ; «ox» [bœuf] ; «rat» [rat] ; «swine» [cochon] N.d.T.)

Jared Diamond ; Le troisième chimpanzé ; Folio essai ; 1992; p 523-526

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Occultation par les sociétés actuelle de ce moteur qu'est l'angoisse existentialiste ; Laborit

Alors que dans l’organisme une des motivations fondamentales est l’angoisse existentielle, le déficit informationnel à l’égard du devenir, les structures sociales contemporaines font tout ce qui est en leur pouvoir pour occulter cette angoisse au lieu d’en profiter pour favoriser l’expression de l’imaginaire ou au contraire favoriser la diffusion d’informations tendancieuses et angoissantes pour en tirer profit. Le processus de décision n’apparaît tel que parce qu’il est essentiellement automatisé et que ceux qui se croient les dépositaires de cette responsabilité sont inconscients du fait qu’ils n’y répondent qu’au coup par coup en faisant appel strictement à leurs pulsions primitives et à leurs automatismes socioculturels, à leur apprentissage technique. Aucune invention là-dessus, on reproduit ce qui a déjà marché. Pas de création, mais ajustements réciproques dans un système qui tente de se pérenniser. Or la création, l’imagination, ne sont possible qu’à partir d’une certaine expérience et celle-ci n’est pas acquise par un élément d’un ensemble, mais par l’ensemble des éléments. C’est donc à l’ensemble de l’organisme social que revient le devoir d’imaginer. Pour cela il est nécessaire que l’information circulante concernant la structure interne et ses rapports avec l’environnement circule, on qu’on ne l’enferme pas dans des automatismes conceptuels qui ne sont favorables qu’au conservatisme de la culture hiérarchique de la dominance.

La nouvelle grille ; Henri Laborit ; Folio Essai ; Gallimard.

Pg284-285

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Le meurtre, spécificité Humaines ? ; Diamond

Chez les espèces sociales, les meurtres n’impliquent nécessairement que des individus. Mais, chez les espèces sociales de carnivores, comme les lions, les hyènes et les fourmis, les meurtres peuvent prendre la forme d’attaques coordonnées, menées par les membres d’une troupe à l’encontre d’une troupe voisine : il s’agit, autrement dit, de meurtres de masse ou de «guerres». La forme de ces dernières varie d’une espèce à l’autre. Les mâles peuvent épargner les femelles de la troupe voisine et s’accoupler avec elles, tuer les nouveaux-nés et chasser les mâles (cas des singes entelles) ou bien les tuer (cas des lions) ; chez d’autres espèces, les mâles et les femelles sont tués (cas des loups). Hans Kruuk a décrit une bataille entre deux clans d’hyènes dans le cratère du Ngorongoro en Tanzanie : une douzaine d’hyènes environ, appartenant au clan de Scratching Rock, se saisirent d’un mâle du clan de Mungi et lui infligèrent toutes sortes de morsures, particulièrement au ventre, aux pattes et aux oreilles. Ses assaillants le lacérèrent pendant dix minutes environ. Le mâle fut littéralement mis en pièces, et lorsque Hans Kruuk put étudier de plus près ses blessures, il constata qu’il avait été amputé de ses oreilles, de ses testicules et du bout de ses pattes ; de plus, une lésion de la moelle épinière l’avait paralysé, et il présentait de profondes entailles au niveau train arrière et du ventre, et des hémorragies sous-cutanées sur tout le corps.

Pour comprendre l’origine de nos pratiques génocidaires, l’examen du comportement de deux de nos plus proches apparentés, le gorille et le chimpanzé commun, peut-il être éclairant ? N’importe quel biologiste aurait pensé, il n’y a guère, que notre capacité de commettre des meurtres dépassait de loin tout ce que pouvaient perpétrer les grands singes dans ce domaine, dans la mesure où nous semblions seuls capables de manier des outils et de mener des actions de groupe concertées (on inclinait alors même à croire que le meurtre n’existait pas du tout chez nos plus proches apparentés). Les recherches récentes sur les grands singes suggèrent, cependant, que tout gorille ou tout chimpanzé commun court à peu près le même risque de mourir assassiné par ses congénères que l’individu humain moyen. Chez le gorille, par exemple, les mâles se battent pour s’emparer des harems de femelles, et le vainqueur est susceptible de tuer le dépossédé ainsi que ses nouveaux-nés que ce dernier a engendrés. Ce genre de combat est l’une des grandes causes de mortalité chez le mâles adultes et chez les nouveaux-nés dans cette espèce. En moyenne, une femelle gorille perd, au cours de sa vie, au moins un bébé en raison des infanticides pratiqués par le mâles. Réciproquement, 38 pour cent des morts de bébés gorilles sont dues à des infanticides.

Jared Diamond ; Le troisième chimpanzé ; Folio essai ; 1992; p 510-511

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La combinatoire conceptuelle analogie à la combinatoire génétique ; Laborit

Comme la combinatoire génétique, elle doit permettre la combinatoire conceptuelle interindividuelle au lieu de favoriser un eugénisme conceptuel, un racisme conceptuel contraire à toute l’évolution biologique. Notons d’ailleurs qu’à partir de l’hypothèse de travail, lorsque l’ensemble l’a discutée ou formulée, seule la base est susceptible de pouvoir expérimenter.

La nouvelle grille ; Henri Laborit ; Folio Essai ; Gallimard.

Pg282

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Liberté de circulation ; Diamond

Pendant la durée de l’histoire humaine, si ce n’est dans les dernières mille années, il fut totalement impossible de voyager librement. Chaque village ou chaque tribu constituait une unité politique et vivait dans un état permanent de guerre avec les voisins, entrecoupé de trêves ou de périodes consacrées à la recherche de nouvelles alliances ou au commerce. C’est pourquoi l’existence des montagnards de Nouvelle-Guinée se déroulait en totalité dans un rayon de quinze kilomètres autour de leur lieu de naissance. Ils pouvaient parfois pénétrer sur des terres jouxtant celle de leur village, très rapidement au cours de raids guerriers ou lorsqu’ils en avaient la permission au cours des trèves, mais il ne bénéficiaient d’aucun pacte social qui leur auraient permis de voyager au-delà des terres avoisinant immédiatement les leurs. L’idée de tolérer des étrangers sur son territoire était aussi impensable que celle de permettre à des étrangers d’y pénétrer. De nos jours encore, cette façon, héritée du passé, de refuser qu’autruie pénètre sur son territoire persiste dans de nombreuse région du monde.

……

Lorsqu’à deux reprises, il m’est arrivé de négliger cette précaution – ou bien de demander la permission à un village qui n’était pas le bon- , et que j’ai effectué ma randonnée en me déplaçant en bateau sur une rivière, je me suis heurté, à mon retour, aux habitants du village qui me barraient la route avec leur canoës et, furieux que j’ai violé leur territoire, voulaient me lapider. J’ai vécu chez les Elopi, dans l’ouest de la Nouvelle-Guinée, et un jour j’entrepris de traverser le territoire de la tribu voisinne de Fayu, afin d’atteindre les montagnes situées au-delà. Les Elopi m’expliquèrent froidement que les Fayu me tueraient si j’essayais. Du point de vue des Néo-Guinéens, cela allait de soi. Les Fayu tuent bien sûr, tout étranger qui s’aventurent sur leur territoire, me dirent mes hôtes. Qui penserait qu’ils sont assez stupides pour laisser pénétrer sur leur territoire des étrangers, susceptibles de chasser leur gibier, de s’en prendre à leur femmes, d’introduire des maladies et de reconnaître le terrain en vue d’un raid guerrier ultérieur.

Jared Diamond ; Le troisième chimpanzé ; Folio essai ; 1992; p 408-409

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Toute forme de censure et surtout d'autocensure doivent disparaître pour arrêter de protéger les systèmes de dominance; Laborit

Non seulement la censure doit disparaître, mais aussi l’autocensure de ceux qui veulent assurer leur promotion dans le système hiérarchique, consciemment et surtout inconsciemment. Inconsciemment, car le conditionnement par la gratification hiérarchique qu’offre la soumission à l’intérêt dit (par euphémisme) national n’est que l’expression du déterminisme qui guide l’inconscient du système nerveux humain dans sa recherche de la dominance. L’information doit circuler dans ses aspects contradictoires, ce qui semble possible dès lors qu’il n’existe plus de structure hiérarchique de dominance à protéger.

La nouvelle grille ; Henri Laborit ; Folio Essai ; Gallimard.

Pg281-282

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La xénophobie ; Diamond

D’une espèce animale à l’autre, on trouve d’énormes variations dans le nombre d’individus susceptibles d’entrer en compétition simultanément. Chez la plupart des passereaux, comme chez les rouge-gorge, ce sont des mâles individuels qui s’affrontent ou bien un couple mâle-femelle en combat un autre. Chez le lion et les chimpanzé commun les combattants sont formés par de petits groupes de mâles (qui peuvent être des frères) qui luttent parfois jusqu’à la mort. Chez les loups et l’hyène, des meutes entières s’affrontent, et chez les fourmis, ce sont des colonies qui s’engagent dans des guerres de grande envergure contre d’autres colonies. Bien que chez certaines de ces espèces, ces luttes débouchent sur la mort d’individus, on n’en connaît pas dont la survie en tant qu’espèce soit menacée par ce type d’élimination de ses membres.

Quant aux êtres humains, ils entrent parfois en compétition pour l’appropriation de territoires, à l’instar des membres de la plupart des espèces animales. Puisque nous vivons en groupes, la plupart de ces luttes ont, jusqu’à nos jours, pris la forme de guerres entre groupes voisins, sur le modèle des guerres entre colonies de fourmis plutôt que sur celui des duels entre rouge-gorges. Comme dans le cas des groupes de loups ou de chimpanzés communs dont les territoires se jouxtent, les relations entre tribus humaines voisines ont traditionnellement été marquées par l’hostilité fondée sur la xénophobie, avec des périodes de moindre tension au cours desquelles ont pu intervenir des échanges de partenaires sexuels (et dans le cas de notre propre espèce, des échanges commerciaux). La xénophobie est fréquente dans notre espèce, parcequ’une grande partie de nos comportements sont déterminés par la culture et non l’hérédité, et que les différences culturelles entre les populations humaines sont très marquées (ce qui explique que nous pouvons souvent reconnaître d’un seul coup d’oeil les membres d’autres groupes que le nôtre, d’après leur vêtements ou leur coiffure, alors qu’une discrimination aussi rapide n’est probablement pas possible chez les loups ou chez les chimpanzés).

La xénophobie au sein de l’espèce humaine a aujourd’hui des conséquences bien plus terribles que celle sévissant chez les chimpanzés, dans la mesure où nous possédons des armes de déstruction massives capables d’opérer à distance. Jane Goodall a bien observé comment les mâles d’un groupe de chimpanzés communs sont arrivés à tuer petit à petit les individus d’un groupe voisin et à usurper leur territoire. Mais ces grands singes n’avaient évidemment aucun moyen de tuer les membres d’un groupe éloigné ni d’exterminer la totalité des chimpanzés – y compris eux-mêmes. Certes, l’assassinat motivés par la xénophobie a d’innombrables précurseurs chez les animaux, mais nous seuls avons, sur cette base, développé la possibilité de provoquer la chute de notre espèc entière. Cette possibilité est désormais une caractéristique distinctive de notre espèce, à l’instar de la possession du langage ou de l’art.

Jared Diamond ; Le troisième chimpanzé ; Folio essai ; 1992; p 396-398

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Du temps libre pour s'informer ; Laborit

Chaque élément de l’ensemble social doit être capable de capter, de décoder et d’interpréter les informations, ce qui suppose une grille efficace pour le faire, englobant les autres grilles, sans quoi elle ne peut être qu’un système fermé, donc antagoniste. Il faut donc que chaque élément de l’ensemble social jouisse de temps libre, comme au début du néolithique, pour s’informer.


La nouvelle grille ; Henri Laborit ; Folio Essai ; Gallimard.

Pg 281

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