Mon nom est Ozymandias, Roi des Rois

«J’ai rencontré un voyageur venu d’une terre antique

qui disait : -Deux jambes de pierre, vastes et sans tronc,

se dressent dans le désert. Près d’elles, sur le sable,

enfoui, gît un visage brisé, dont le sourcil qui se fronce

Et la lèvre plissée, et le ricanement de froide autorité

disent que le sculpteur sut bien lire ces passions

qui survivent encore, imprimées sur ces choses sans vie,

à la main qui les imita, au cœur qui les nourrit.

Et sur le piédestal apparaissent ces mots :

-Mon nom est Ozymandias, Roi des Rois ;

contemplez mes œuvres, ô puissants, et désespérez-

Rien de plus ne reste, autour de la ruine

De ce colossal débris, sans bornes et nus

Les sables solitaires et unis s’étendent au loin.

Les débris de la statue d’Ozymandias à Thèbes (Monarque assimilé parfois à Ramses II ou Sesostris) portent l’inscription qui inspira Percy Bysshe Shelley : «Je suis Ozymandias, roi des rois. Si vous voulez savoir combien je suis grand et où je repose, surpassez mes œuvres.»(N.d.T)

«Ozymandias», in Les romantiques anglais, traduction de Pierre Messiaen, Paris, Desclée de Brouwer, 1995, p 707-708.

]]>

Comment condamner du confort de son fauteuil la violence des peuple opprimés ? ; Laborit

Comment s’étonner et comment condamner, les pieds allongés sur le fauteuil de nos habitudes confortables, l’agressivité et la violence des commandos palestiniens ? Quand aucune ouverture ni verticale, avec leur « frères arabes », ni horizontale par leur mélange au peuples de la terre du fait d’une technicité et d’une richesse insuffisantes, n’est possible, comment un groupe humain peut-il se gratifier dans la dépendance, la soumission sans « territoire », sans capital et sans technicité ?

La nouvelle grille ; Henri Laborit ; Folio Essai ; Gallimard.

Pg299

]]>

Après l’âge d’or, voici l’âge de plomb; Diamond

À vrai dire, il a toujours été difficile pour les êtres humains de savoir à quel rythme ils pouvaient se permettre de prélever des ressources biologiques sans courir le risque de les épuiser. Lorsque celles-ci s’amenuisent, ce fléchissement peut ne pas être facile à distinguer d’une fluctuation normale survenant au cours d’une année. Il est encore plus difficile d’estimer à quelle rythme des ressources nouvellement découvertes sont engendrées par les processus naturels. Lorsque les signes de déclin commencent à être suffisamment clairs pour que tout le monde en soit convaincu, il se peut fort bien qu’il soit trop tard pour sauver une espèce ou un biotope donnés. Par conséquent, on ne peut condamner moralement les peuples préindustriels qui ont sapé leur propre base d’existence ; simplement ils n’ont pas su résoudre un problème écologique dont l’intelligence est véritablement difficile. Assurément, leur échec a eu des conséquences tragiques, puisqu’il a déterminé l’effondrement du mode de vie qui leur était fondamental. Mais les échecs tragiques de ce genre sont moralement condamnables seulement dans la mesure où les enjeux sont préalablement connus. À cet égard, il y a deux grandes différences entre les indiens Anasazi et nous : nous possédons la connaissance scientifique et nous avons des livres. Nous savons comment calculer la croissance démographique admissible et fonction du rythme d’exploitation des ressources, eux ne le savaient pas. Nous pouvons lire dans les livres tout ce que l’on sait des désastres écologiques du passé, eux ne le savaient pas. Et pourtant, notre génération continue à chasser les baleines et à défricher les forêts tropicales humides comme si personne n’avaient jamais chassé les moas ou abattu les forêts de pins pignons ou de genévrier. On peut considérer que le passé a été, en effet, un âge d’or, dans la mesure où il reposait sur l’ignorance, tandis que notre présent est un âge de plomb, qui a pour pilier la cécité volontaire.

Jared Diamond ; Le troisième chimpanzé ; Folio essai ; 1992; p 589-590

]]>

Diviser, compartimenter, segmenter, simplifier, multiplier les systèmes fermés pour mieux régner ; Laborit

Il est sans doute plus facile de créer l’unité nationale contre un système extérieur et antagoniste quand la structure hiérarchique est étalée comme c’est le cas dans les pays industrialisés. C’est une des raisons qui vraisemblablement rendent si difficile l’association dans un plus grand ensemble de ces systèmes nationaux fermés. De même, pour provoquer une crise révolutionnaire à l’intérieur de tels systèmes, il est utile de propager l’idée de classes sociales peu nombreuses et d’occulter les hiérarchies professionnelles à multiples barreaux. Utile de profiter du malaise social pour obliger chaque individu à se situer à travers son vécu journalier dans le champ des insatisfaits ou des satisfaits de façon à provoquer l’apparition de deux systèmes fermés antagonistes. Inversement, pour maintenir un système hiérarchique de dominance, il est profitable de multiplier les barreaux de l’échelle hiérarchique, de multiplier les systèmes fermés, les corporatismes, les sous-ensembles. Ce n’est là d’ailleurs que l’exploitation intuitive du vieil adage : « diviser pour régner. ».

La nouvelle grille ; Henri Laborit ; Folio Essai ; Gallimard.

Pg298

]]>

L’archéologie au secours du futur; Diamond

Peut-on tirer des leçons pratiques de ces récentes découvertes archéologiques ? On considère souvent que l’archéologie est une discipline universitaire sans grande importance pour la société ; en raison de ce statut, son budget est le premier à être réduit dès qu’il faut diminuer les dépenses allouées par le gouvernement à l’éducation. La recherche archéologique est cependant l’un des meilleurs outils de prédiction et d’évaluation dont puissent disposer les autorités. Nous sommes actuellement en train de lancer dans programmes de développement susceptibles de provoquer des dégâts irréversibles. Or, ils ne représentent que la réalisation, sur une plus grande échelle et avec plus d’efficacités, de programmes déjà exécutés dans le passé. Nous ne pouvons assurément pas nous permettre de faire des expériences consistant à laisser se développer cinq régions de cinq façon différentes pour voir lesquelles vont courir au désastre et lesquelles vont s’épanouir. En revanche, il est beaucoup moins coûteux et risqué de financer des recherches archéologiques ayant pour mission de découvrir comment tel développement économique ou technologique s’est inversé en catastrophe et de comprendre comment ne pas répéter les mêmes erreurs.

Un exemple éclairera mon propos. Le Sud-Ouest américain possède plus de deux cent cinquante mille kilomètre carré de forêts de pin pignons et de genévrier que nous sommes en train d’exploiter de plus en plus sous forme de bois de chauffage. Malheureusement, les services forestiers des États-Unis ne disposent pratiquement pas de données qui puissent les aider à calculer le rythme des prélèvements admissibles, en fonction du rythme de régénération de ce type de forêt. Or, les Anasazi ont déjà réalisé cette expérience jadis et se sont trompés, de sorte que cette végétation ne s’est toujours pas rétablie dans le Chaco Canyon, après 800 ans. Il serait moins coûteux de financer des recherches archéologiques pour retrouver à quel rythme les Anasazi ont consommé leur bois de chauffage que de commettre la même erreur qu’eux et transformer une région de 250 000 kilomètres carrés en désert, comme nous sommes peut-être en train de le faire aujourd’hui.

Jared Diamond ; Le troisième chimpanzé ; Folio essai ; 1992; p 587-589

]]>

Mécanisme de l'agressivité entre nations; Laborit

L’agressivité guerrière entre nations semble posséder des mécanismes assez analogues à ceux de l’agressivité entre deux individus. Elle résulte ainsi de l’impossibilité pour une nation donnée de continuer ses actions gratifiantes, économiques en général. Le plus souvent c’est le groupe dominant de cette nation qui ne peut se gratifier, mais il parvient, puisqu’il est détenteur des moyens de diffusion de l’information, à faire croire à l’ensemble national que son intérêt privé est l’intérêt national et à susciter « l’union sacrée ». Jusqu’ici, il ne semble pas qu’une ouverture horizontale entre classes fonctionnelles de deux nations en imminence de conflit ait jamais pu s’opposer efficacement au déclenchement du conflit. Cependant, dans certains cas l’origine de celui-ci paraît être attribuable à une nation dominante. Comme l’individu dominant, la nation dominante paraît dénuée d’agressivité. Elle se satisfait de sa dominance. Mais comme l’individu dominant elle a immédiatement tendance à étendre son information-structure, son style de vie, considérant que tout le monde doit l’accepter, l’admirer, le partager. Toute structure socio-économique différente de la sienne représente, pour une nation dominante, une structure « barbare » et puisque la sienne lui a permis d’accéder à la dominance, les autres doivent l’imiter et pour cela accepter son « leadership ». Elle a aussi tendance à étendre son emprise économique et à considérer que tous les biens de ce monde lui sont dus, sont sa propriété. En échange, elle fournit son amitié, sa protection, et quelques broutilles à consommer. Ceux qui n’acceptent pas cette soumission sont évidemment des hérétiques, des « méchants », qui doivent être punis car ils menacent la paix du monde dont elle est gardienne. Toute contestation, tout essai de dégagement économique ou structurel déclenche immédiatement de sa part des représailles guerrières. Ces représailles sont toujours justifiées, elles défendent une cause juste, en général la liberté, car la liberté ne peut s’obtenir évidemment que dans l’acceptation de la dominance.

La nouvelle grille ; Henri Laborit ; Folio Essai ; Gallimard. Pg297

]]>

Facteurs de pérénité d'une civilisation; Diamond

Comment, dès lors, concilier les récentes découvertes sur les catastrophes écologiques du passé, qui obligent à conclure que l’âge d’or souvent évoqué par les écologistes est vraisemblablement un mythe (assurément toutes les espèces n’ont pas été exterminées, et tous les milieux naturels n’ont pas été détruit, de sorte que les désastres du passé n’ont pas eu un caractère total), avec la conservation des espèces observée chez de très nombreux peuples préindustriels d’aujourd’hui ?

On peut considérer que les vieilles sociétés égalitaristes de petite dimension ont tendu à inventer des pratiques écologiques (visant à la conservation des milieux et des espèces), parce que au fil de leur longue histoire elles ont disposé de beaucoup de temps pour bien connaître leur environnement local et percevoir où était leur propre intérêt. À l’inverse, les catastrophes sont survenues lorsque des peuples se sont mis à coloniser des milieux qu’ils ne connaissaient pas (comme les Maoris lorsqu’ils sont arrivés en Nouvelle-Zélande ou les Pascuans sur l’île de Pâques) ; ou lorsque des peuples se sont développés en bordure d’une nouvelle région et qu’ils ont été obligés de s’y introduire dès l’instant où ils avaient déterioré la région précédente (comme cela a été le cas pour les ancêtres des Indiens quand ils ont atteint l’Amérique) ; ou lorsque des peuples ont acquis une nouvelle technologie et qu’ils n’ont pas eu le temps d’en mesurer les potentialités destructrices (comme c’est le cas actuellement des Néo-Guinéens qui sont en train de décimer les populations de pigeon avect des fusils de chasse). On peut également dire que des catastrophes ont également toutes chances de se produire dans les États centralisés où la richesse est concentrée entre les mains de souverains qui n’ont pas de contact personnel avec l’environnement. Et certaines espèces et certains biotopes sont plus vulnérables que d’autres : pour les espèces, cela a été le cas des oiseaux ne volant pas et n’ayant jamais rencontré d’êtres humains (tels les moas ou les aepyornis). Pour les biotopes, cela a été le cas de milieux secs, fragiles et ne tolérant aucune déterioration, au sein desquels les civilisations méditerranéenne ou anasazi se sont développées.

Jared Diamond ; Le troisième chimpanzé ; Folio essai ; 1992; p 586-587

]]>