Dans ces conditions, ne pourrait-on pas juste préserver les seules espèces dont nous avons besoin et laisser les autres s’éteindre ? Mais les espèces dont nous avons besoin dépendent elles aussi des autres espèces. Tout comme on aurait pas pensé que les espèces d’oiseaux mangeurs de fourmis du Panama avaient besoin des jaguars pour continuer à vivre, les rangées de dominos écologiques sont beaucoup trop complexes pour que nous puissions nous rendre compte de quels dominos nous pouvons nous passer. Qui saura jamais répondre aux questions suivantes : quelles sont les dix espèces d’arbres qui produisent la plus grande partie de la pâte à papier utilisée dans le monde ? Pour chacune de ces dix espèces d’arbres, quelles sont les dix espèces d’oiseaux qui mangent la plus grande partie des insectes les parasitant, les dix espèces d’insectes pollinisant la plus grande partie de leurs fleurs et les dix espèces animales dispersant la plus grande partie de leurs graines ? Or, ces questions sont du type de celles qui devaient normalement être envisagées chaque fois qu’un projet industriel, jugé profitable, est décidé.
1:Cette espèce de poisson s’est trouvée au centre d’une bataille, dans les années 1970, aux États-Unis, qui a opposé les autorités de l’état du Tennessee aux milieux écologistes. Les premières voulaient édifier un barrage sur la seule rivière des États-Unis où vivaient encore le poisson-dard en question (Percina tanasi), et les seconds craignaient que cela n’entraînât l’extinction de l’espèce.
Jared Diamond ; Le troisième chimpanzé ; Folio essai ; 1992; p 632-633
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