La motivation du créateur ; Laborit

La motivation du créateur ne peut être alimentée que par l’angoisse existentielle, celle que les sociétés hiérarchiques et paternalisantes s’efforcent d’obscurcir, à condition qu’elle débouche sur une structure suffisamment générale pour espérer répondre à cette angoisse. Si elle se laisse dévier, ne serait-ce que quelques moments, vers la compétition hiérarchique, la lutte pour la dominance, le créateur risque d’être définitivement perdu pour la création. Il doit s’arranger pour fuir, pour ne perdre aucun instant dans des luttes langagières stériles et n’attacher d’intérêt aux critiques comme aux louanges que si elles sont susceptibles de l’aider ou de l’éclairer dans la poursuite de sa recherche. Il ne doit surtout pas se préoccuper de l’image que les autres se font de lui, image qui sera bien rarement favorable, puisqu’il gêne, bouscule, dérange, sans y être autorisé par son rang hiérarchique. S’il demeure au milieu du bruit, il risque de se laisser entraîner soit à l’excitation de la bataille, soit à la dépression résultant de l’ignorance ou du mépris dont il est l’objet.

La nouvelle grille ; Henri Laborit ; Folio Essai ; Gallimard.

Pg307-308

3 réponses sur “La motivation du créateur ; Laborit”

  1. Dans les textes de Platon, le personnage de Socrate exprimait déjà cette idée en disant que pour obtenir une authentique création il faut d’abord avoir « brulé toutes ses œuvres profanes ».
    Je suis d’accord sur ce point. Si des objectifs sociaux, hiérarchiques ou mercantiles sont le moteur d’une création, elle est viciée dans ses fondements. Elle se développera en s’intégrant, dès le début, dans un carcan psychique (des catégories), avec des « tendances » ayant pour but de plaire et satisfaire … mais ça ne créera rien, ne changera rien, … La création (au sens large) nécessite d’abord une totale indépendance de l’esprit de son créateur. Par contre, cette indépendance ne se développe pas nécessairement (pour moi) dans l’angoisse existentielle (comme exprimé par Laborit). Elle me semble se développer « indépendamment » de son opposé mais pas nécessairement en opposition à celui-ci (les angoisses existentielles d’un artiste et d’une époque n’étant souvent que le reflet des erreurs des courants dominants de cette époque). Je résume synthétiquement cette idée : tous les rêves sont des créations, y compris les rêves d’angoisses … mais tous les rêves ne sont pas des rêves d’angoisses. La sérénité peut, elle aussi, être un moteur de création. Mais il l’est plus rarement encore et l’immense majorité des œuvres que l’on nous vend comme sereine/zen/… ne le sont évidemment pas, et ont juste pour but de ne rassurer, plaire, se vendre, etc …

    1. Vous n’avez pas tort, Monsieur Arsmann, mais la différence avec la créativité issue de l’angoisse existentielle est qu’elle ne vous laisse guère le choix, vous devez créer sous peine de mal être menant à la dépression. La proportion d’artiste officiel (ou visible tout du moins) dont c’est le moteur est donc faussée, me semble-t-il par rapport à la réalité.

    2. Je suis d’accord avec vous et c’est bien pour cela que j’ai insisté en disant qu’il ne parlait ici que de motivation liée à l’angoisse, l’indépendance de l’artiste est indispensable mais elle est cependant tellement rare, d’où la rareté d’une création originale qui la plupart du temps n’obtiendra jamais la visibilité nécessaire justement parce qu’elle dérange. C’est un peu l’ourobouros, le monde a besoin pour changer et s’adapter de création réellement novatrice mais en même temps, ces mêmes créations le dérange et il fait tout pour qu’elle n’éclosent pas. Cela donne une stabilité tellement rassurante mais tellement fragilisante pour des sociétés devant s’adapter à son environnement pour survivre. L’Homme est ainsi fait, seul la conscientisation de tout cela pourrait changer quelque chose, mais en cela j’ai peu d’illusion… Merci pour vos commentaires en tout les cas. Bien à vous.

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