La tragédie des Amérindiens; Diamond

Nous évitons le plus souvent d’évoquer la tragédie qu’ont subie les Amérindiens ; nous n’en parlons pas autant, en tout cas, que les génocides commis en Europe durant le seconde guerre mondiale, par exemple. C’est la guerre de Sécession que nous considérons plutôt comme notre tragédie nationale spécifique. Si nous nous mettons parfois à envisager le conflit qui a opposé les Blancs aux Amérindiens, nous le présentons comme un événement historique appartenant à un lointain passé et nous le décrivons sur le mode d’une campagne militaire en mentionnant : la guerre contre les Pequots1, la bataille de Great Swamp, la bataille de Wounded Knee, la conquête de l’ouest, etc. Les Indiens, dans cette vision des choses, apparaissent comme belliqueux et violents, même envers les autres tribus d’Indiens, passés maître dans l’art de l’embuscade et de la trahison ; ils se distinguaient par leur barbarie, et notamment par la pratique de la torture et du scalp ; peu nombreux ils vivaient comme des chasseurs nomades primitifs, qui pratiquaient notamment la chasse aux bison. Dans cette vision, la population indienne des Etats-Unis en 1942 n’aurait été que d’un million, ce qui était insignifiant, comparé à la population actuelle des Etats-Unis, se montant à 250 millions de personnes. Par conséquent, il était inévitable, selon cette rhétorique, que les Blancs occupent ce continent pratiquement vide.D’autant, soutiennent d’aucuns, que nombre d’Indiens sont mort de variole et d’autres maladies. Ces différentes justifications ont été l’apanage de beaucoup de président des États-Unis, y compris les plus admirés comme George Washington, à seule fin de fonder leur politique vis-à-vis des Amérindiens2. Ces justifications s’appuient sur une déformation des faits historiques réels. Invoquer une sorte de campagne militaire suppose qu’il y ait eu une guerre déclarée et qu’elle ait mis aux prises des combattants représentés par des hommes adultes. En réalité, les Blancs (souvent des civils) avaient fréquemment pour tactique de lancer des attaques surprises sur des villages ou des camps d’Indiens, afin d’en tuer le plus possible, de tout âge et de tout sexe. Durant les cent premières années de colonisation par les Blancs, les autorités offraient des récompenses à des tueurs semi-professionnels d’Indiens. Les estimations de la population indienne d’Amérique du Nord avant l’arrivée des européens sont très variables, mais, selon de récentes recherches, elle pouvait atteindre 18 millions, chiffre auquel la population des colons blancs des États-Unis en parvint pas avant 1840. Bien qu’un certain nombre des Indiens d’Amérique du Nord aient été des chasseurs semi-nomade, la plupart étaient des agriculteurs sédentarisés dans des villages. Il est bien possible que les maladies aient été le facteur responsable du plus grand nombre de morts chez les Indiens, mais certaines d’entre elles ont été intentionnellement introduites par les Blancs ; et, même après les épidémies, la population indienne demeurait forte, et elle périt par des moyens plus directs. Ce n’est qu’en 1916 qu’Ishi, le dernier Indien «sauvage» des États-Unis, membre de la tribu Yahi est mort3, et le dernier livre de souvenirs, sans fards et sans remords, publié par un des exterminateurs parut en 1923.

Il y a bien eu extermination d’une population civile de paysans par une autre. Les Américains de souviennent avec émotion de leurs pertes lors de la prise du fort d’Alamo (environ deux cent morts), ou bien de la destruction du Maine, croiseur de la marine Américaine, ou bien encore de l’attaque du Pearl Harbor ( environ 2200 morts) : ces épisodes furent ceux qui déclenchèrent un puissant mouvement d’opinion en faveur des guerres contre le Mexique, contre l’Espagne et contre les puissances de l’Axe. Cependant, ces pertes étaient extrêmement faibles comparées à celles que les Américains ont infligées aux Indiens, mais dont ils ne veulent pas se souvenir. La réécriture de l’histoire de la grande tragédie -l’autodéfense et l’occupation d’un territoire vide- américaine est parvenue à concilier la perpétration d’un génocide avec l’adhésion à une morale universelle.

1 : Les Péquots furent la première tribu contre lesquels se battirent les colons anglais, dès leur établissement et Nouvelle-Angleterre.

2 : Voir article Indiens et politique Américaine

Jared Diamond ; Le troisième chimpanzé ; Folio essai ; 1992; p 526-531

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