La femme plus petite que l’homme ? Gazalé

Lorsque l’on s’interroge sur les origines de la domination masculine – qu’il vaut mieux nommer viriarcat que patriarcat, puisque l’homme détient le pouvoir, qu’il soit père ou non – , on peut vite céder à la facilité de l’explication purement morphologique. C’est l’argument le plus évident, le plus immédiat, le plus communément partagé et pourtant le moins souvent discuté pour rendre compte de la minoration historique de la femme : celui de la force physique. À la question «Comment expliquer que les femmes aient accepté de se soumettre à la puissance virile?», il suffirait de répliquer : «Elles n’eurent par le choix, car les hommes étaient plus grands et plus forts.» Certes, il ne fait aucun doute que, les hommes étant plus robustes, ils ont profité de ce privilège biologique pour s’imposer. Pour autant, cette réponse n’est pas suffisante, et ceci pour au moins deux raisons.

La première, c’est que ces différences anatomiques entre les deux sexes ne sont pas aussi naturelles et universelles qu’on pourrait le penser. Chez les animaux invertébrés, la femelle est généralement plus grandes que le mâle, et chez certains mammifères, comme le gibbon, la baleine bleue, le lapin ou le chat, la taille est indépendante du genre. En outre, les premiers ossements humains datant du paléolithique ne présentent pas de différence significative de taille ou de diamètre entre les sexes1. En réalité, il est très probable que l’écart sexué de stature soit apparu ultérieurement, comme résultant d’une inégalité non pas génomique, mais nutritionnelle. Comme l’a montré l’anthropologue français Priscille Touraille dans un essai remarqué, intitulé Hommes grands, femmes petites : une évolution coûteuse2, dans la plupart des civilisations, pendant des millénaires, les protéines étaient réservées aux garçons et aux hommes, tandis que les sœurs et les épouses devaient se contenter de bouillies et des restes, pauvres en nutriments. Cette malnutrition différentielle explique que les femmes et les fillettes aient toujours été les premières victimes des famines, d’autant que la menstruation et la grossesse ont un coût énergétique important. La plus faible constitution des femmes est donc en partie le conséquence, et non pas la cause, de leur infériorisation sociale. Ce qui signifie que la supériorité physique mâle n’est donc ni totalement naturelle, ni tangible, ni indépassable.

1 : Robert Briffault, The Mothers. The Matriarcal Theory of social origins, New York, Grosset and Dunlap, 1963

2 : Priscille Touraille, Hommes grands, femmes petites:une évolution coûteuse. Les régimes de genre comme force sélective de l’adaptation biologique, Paris, MSH, 2008. Voir aussi le documentaire Arte de Véronique Kleiner (Kleiner signifie en Allemand «plus petit(e)», ça ne s’invente pas.…) Pourquoi les femmes sont-elles plus petites que les hommes ?, réalisé en coproduction avec Didier Deleskiewicz, en partenariat avec le conseil régional, le département de la Vienne et Picta productions, 2012.

Le mythe de la virilité, un piège pour les deux sexes ; Olivia Gazalé ; Robert Laffont ; 2017 ; p. 47-48

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.