Se comporter en tant qu’homme et non en tant que partisan ; Laborit

Si l’on en croit certains, l’avenir est perdu d’avance puisque cette agressivité, cette recherche de la dominance fait partie du patrimoine génétique qui lui a été transmis par les espèces qui l’ont précédés. Nous avons déjà eu l’occasion d’exprimer notre opinion sur cette prétendue agressivité congénitale. Mais l’homme est doué aussi d’une conscience imaginative. Il est ainsi sans doute la seule espèce à avoir compris aujourd’hui le danger que fait courir à cette espèce, cette pression de nécessité à laquelle d’innombrables espèces se sont antérieurement soumises ainsi que la sienne depuis toujours. Peut-être alors devant la crainte imminente du désastre, ayant essayé auparavant sans succès tous les petits moyens que la technique peut lui fournir pour retarder la disparition des systèmes hiérarchiques de dominances qui sont à l’origine de la destruction et de l’épuisement de la biosphère, comme de l’insuffisance de ses systèmes sociaux, changera-t-il les moyens utilisés jusqu’ici pour survivre. Nous devrions plutôt dire les moyens utilisés jusqu’ici pour maintenir ses structures sociales, la structure hiérarchique de ses sociétés. Ayant constaté que la survie du groupe ne pouvait plus être lié à la dominance à partir du moment où avec l’accroissement démographique, la vie de tous les hommes de la planète était concernée par l’action d’un seul groupe humain, il lui faudra, s’il veut survivre en tant qu’espèce, se comporter comme un homme, non comme un partisan.

La nouvelle grille ; Henri Laborit ; Folio Essai ; Gallimard.

Pg 323-324

Le Gynocide ; Gazalé

La tradition judéo-chrétienne insistera toujours sur l’antériorité de la culpabilité d’Éve sur celle d’Adam. La première lettre de saint Paul apôtre à Timothée est parfaitement claire sur ce point:«Adam a été modelé le premier, et Ève ensuite. Et ce n’est pas Adam qui a été trompé par le serpent, c’est la femme qui s’est laissée tromper, et qui est tombé dans la transgression1.» Bien qu’elle été créée en second, c’est elle qui a péché la première. C’est à cause de son intempérance que le mal est entré dans le monde ; si elle n’avait pas poussé Adam à la désobéissance, il n’y aurait pas eu de chute, ni de perdition, ni damnation. La vie n’aurait pas été la succession ininterrompue de tragédies qu’elle est devenue depuis l’éviction du jardin d’Éden, paradis dans lequel l’homme vivait en harmonie avec Dieu en recueillant les fruits d’une nature bienveillante. Désormais, dit la Genèse, «la terre est maudite», le sol est aride, envahi de «ronce et d’épines», le labeur est pénible et la «sueur» dégouline du front du travailleur. À cause d’Ève. Elle est donc bien, comme dit l’Ecclésiaste, le «principe du péché2».

Or il ne s’agit pas de n’importe quel péché, mais du pire d’entre tous, le péché de la chair, comme nous l’apprendra, au Veme siècle, l’évêque Augustin d’Hippone ( Saint Augustin), qui va doter le péché originel d’un contenu proprement sexuel. Selon lui, le sexe faible est ontologiquement tentateur et fornicateur. Toutes les femmes sont suspectées d’être, à l’image de leurs lointaines aïeules, séductrices, rusées, insoumises et curieuses. S’installe alors une culture du soupçon, de la faute et du repentir qui enfermera durablement les femmes dans la forteresse invivable de la culpabilité. « Tu ignores qu’Ève, c’est toi ? Elle vit encore en ce monde, la sentence de Dieu contre ton sexe. Vis donc, il le faut, en accusée. C’est toi la part du Diable3», s’indigne le théologien chrétien Tertullien dans La toilette des femmes. Être une femme est en soi une indignité, comme le rappelle le Père de l’Église Clément d’Alexandrie dans Le Pédagogue : «La conscience de sa propre nature doit à elle seule engendrer la honte chez la femme4

Cette essence coupable de la Femme fera, pendant des siècles, les délices des confesseurs, dont l’office prendra une tournure nettement inquisitoriale avec l’injonction de l’aveu. Avoue ta faute, femme et accepte ta punition. Les femmes ont un tribut à payer, et c’est Dieu qui en a décidé ainsi : «J’augmenterai la souffrance de ta grossesse, tu enfanteras avec douleur5

Certes, elle n’avait pas attendu l’ancien testament pour souffrir et mourir en couches, mais à présent, la voici informées des raisons qui justifient un tel calvaire : elle expie ses fautes. D’où les nombreuses résistances des autorités religieuses aux différentes techniques d’accouchement sans douleur. La femme ne s’acquitte pas de sa dette, c’est trop facile d’accoucher sans souffrir ! Aussi le médecin personnel de la reine Victoria fut-il attaqué pour lui avoir offert un mouchoir imbibé de chloroforme afin de faciliter son huitième accouchement, contrevenant ainsi à la tradition séculaire, à laquelle aucune reine n’avait dérogé jusqu’alors, de l’accouchement naturel, c’est-à-dire affreusement douloureux.

Mais ce n’est pas tout. Il existe aussi des femmes hérétiques qui forniquent avec le diable, et qui finissent par avouer sous la torture. Façonné par les sermons terrifiants des clercs, l’éros médiéval sera hanté par la figure de la sorcière, cette créature obscène qui se livre à la masturbation et à l’orgie et qu’on accuse de s’être laissée sodomiser par l’énorme sexe, couvert d’écaille de Belzébuth. Dans le saint empire romain germanique, l’Inquisition livrera ainsi au bûcher, par milliers, d’innocentes femmes accusées de «fureurs utérines», de férocité sanguinaire et autres sabbats démoniaques. Comme les juifs, qui fabriquent des osties à partir du corps des enfants qu’ils capturent, les sorcières souillent les rites chrétiens et, à ce titre, méritent la peine capitale. Partout les religieux traquent la créature du diable — fille-mère, guérisseuse ou sage-femme6 — les plus zélés d’entre eux étant l’archevêque de Mayence (650 victimes entre 1601 et 1604) et celui de Cologne (2000 victimes) qui menèrent des politiques si violemment féminicides que l’on pourrait les qualifier de gynocides7. De quoi s’agit-il, en effet, sinon de l’extermination arbitraire d’un sexe par l’autre ?

Si les chrétiens ont, fort heureusement, cessé de persécuter les femmes avec le temps, ce n’est pas le cas de toutes les religions, comme le rappelle le percutant livre Bas les voiles!8, de la romancière Chahdortt Djavann. Aujourd’hui encore, dans certains pays musulmans, comme l’Iran, «une fille, dès sa naissance, est une honte à dissimuler puisqu’elle n’est pas une enfant mâle. Elle est en soi l’insuffisance, l’impuissance, l’infériorité…[…]Qui n’a pas entendu des femmes hurler leur désespoir dans la salle d’accouchement où elles viennent de mettre au monde une fille au lieu du fils désiré, qui n’a pas entendu certaines d’entre elles supplier, appeler la mort sur leur fille ou sur elles-mêmes, […] qui n’a pas entendu des mères dire «jetez-la dans la poubelle, étouffez-la si c’est une fille!» par peur d’être tabassées ou répudiées, ne peut pas comprendre l’humiliation d’être femme dans les pays musulmans».

En ce début de troisième millénaire, le premier des droits fondamentaux, celui de vivre, n’est toujours pas garanti aux fillettes dans de très nombreuses régions du monde. En Inde, au Pakistan, au Bangladesh, ou encore en Chine, à Taïwan et en Corée du sud, l’avortement sélectif du fœtus féminin est pratiqué de façon massive, au prix d’un détournement macabre de l’amniocentèse et de l’échographie. D’après Le livre noir de la condition de la femme9, dirigé par la journaliste Christine Ockrent, il y aurait cent millions de «femmes manquantes» en asie10, tuées au stade fœtal, qu’elles soient hindouistes, confucéennes ou musulmanes. Le contrôle étatique cauchemardesque des naissances, tel qu’il se pratique en Chine, est décrit par le romancier Ma Jian, exilé à Londres. Dans La route sombre11,il dénonce non seulement le massacre de dizaines de milliers de fœtus, jetés dans des puits, mais aussi la bureaucratie très lucrative générée par l’avortement forcé, les contrevenants s’exposant à de lourdes amendes12.

1 : La Bible, traduction officielle liturgique, 1 Tm 2, 13-14, Paris, 2014

2 : L’Ecclésiaste 25, 33

3 : Tertullien, La toilette des femmes, Paris, Cerf, 1976

4 : Clément d’Alexandrie, Le Pédagogue, trad. Par Bernadette Troo, Paris, Migne, 2011

5 : Genèse 3, 16

6 : Elles étaient accusées de concocter des potions contraceptives et de pratiquer des avortements. À Cologne, entre 1627 et 1630, les sages-femmes furent presque toutes exécutées.

7 : Expression d’Andrea Dworkin, Woman hating, chap. VII, «Gynocide : the witches ». New York, Dutton, 1974

8 : Chahdortt Djavann, Bas les voiles !, Paris, Folio, 2006

9 : Christine Ockrent (dir.) Le livre noir de la condition des femmes, coordonné par Sandrine Treinet, postface de Françoise Gaspard, Paris, Points, 2007

10 : Selon Claire Brisset, «Dès l’enfance» et Isabelle Athané, « Les femmes manquantes» en Asie», in Le livre noir de la condition des femmes, op. Cit.

11 : Ma Jian, La route sombre, trad. du chinois par Pierre Ménard, Paris, Flammarion, 2014

12 : Cela rapporterait à l’État chinois 4 milliards de yuans annuels.

Le mythe de la virilité, un piège pour les deux sexes ; Olivia Gazalé ; Robert Laffont ; 2017 ; p. 83-86

La créativité, Pourquoi ? ; Laborit

La créativité, n’est-ce pas la le problème d’un petit nombre seulement et en conséquence sans intérêt primordial pour l’espèce ? En réalité, tous les progrès faits par cette espèce depuis l’origine des temps humains furent la conséquence de cette créativité. Mais il est vrai que jusqu’ici elle est demeurée le domaine privé de quelques êtres privilégiés par leur naissance le plus souvent, et pas le hasard bienfaisant d’une niche environnementale immédiate, favorable. Mais c’est justement parce que cette rareté du créateur est à déplorer qu’il faut insister sur la notion que la vie de tout homme pourrait être créatrice, si les ensembles sociaux fournissaient de cadre adéquat à l’éclosion des facultés imaginatives. Tout ce que nous avons écrit depuis le début de ce livre montre que si une motivation non hiérarchique, l’absence d’automatismes intransigeant, automatismes dont le but est très ouvertement de faciliter la production de biens marchands, si du temps libre en dehors de son activité professionnelle était laissé à chaque homme quelle que soit cette activité professionnelle, il est probable qu’un très grand nombre d’individus deviendraient créateurs. Tout ce que nous avons écrit précédemment, sur le mécanisme des motivations, l’établissement des hiérarchies, la signification de ce que nous avons appelé l’information généralisée, est utilisable pour développer la créativité humaine. Car cette propriété de créer, de créer de l’information à partir de l’expérience mémorisée et grâce à l’imaginaire, tout homme non handicapé mental la possède à la naissance. S’il la perd c’est son environnement qui en est responsable , que cet environnement soit la niche socioculturelle d’une famille « bourgeoise » ou « d’intellectuels » ou celle d’un grand ensemble ouvrier. Dans le premier cas l’ascension hiérarchique sera certes plus facile mais la créativité n’en sera pas pour autant favorisée. Il en sera d’ailleurs ainsi aussi longtemps que l’exigence fort logique de l’égalisation des chances ne sous-entendra que l’égalisation des chances de devenir bourgeois.

La nouvelle grille ; Henri Laborit ; Folio Essai ; Gallimard.

Pg 320-321

La peur du vagin ; Gazalé

Simone de Beauvoir avait repéré ce thème du pénis capturé par un ventre vénéneux et avide dans Le deuxième sexe :«La matrice, plante carnivore, un abîme de ténèbres convulsives ; un serpent l’habite qui engloutit insatiablement les forces du mầle1.» À son tour, Élisabeth Badinter a retrouvé cette croyance dans d’innombrables légendes, en Amérique du Nord et centrale, en Sibérie, en Chine, au Japon et en Inde, où «les hommes avaient tellement peur de déflorer leur femme qu’ils l’offraient, pour la première nuit, à un autre, de peur de se faire mordre. Un sexe de femme, des crocs de bête2 », écrit-elle dans XY. De l’identité masculine. Quant aux Maoris, leur peur du vagin était telle qu’ils le nommaient «la maison de la mort et du malheur».

Le péril justifie la violence : pour venir à bout du monstre, des armes seront parfois nécessaires. L’auteur de XY évoque à ce sujet le mythe de Tikanjaj3, pratiqué à Bastar, toujours en Inde : les hommes s’étaient fait raboter le pénis, qu’ils avaient à l’origine très long, se vengèrent en cassant les dents du vagin à coup de pilon. «Gourdins, cailloux, marteaux, clous ou lances : le traitement infligé au vagin denté n’est jamais tendre.»

Celui réservé au clitoris non plus… Et cette fois, il ne s’agit plus de mythe, mais d’une réalité, massive à l’échelle de l’humanité, bien plus barbare encore que celle des pieds bandés. L’idée est simple : sans clitoris, pas de jouissance, donc moins de risque d’adultère. Alors pourquoi se priver d’une sécurité supplémentaire ? D’autant que ce petit organe passe pour être la «dernière dent» du vagin, sans doute la plus redoutable de toutes…

Contrairement à ce que prétendent certains dignitaires religieux musulmans, les diverses méthodes d’excision ne sont pas des prescriptions coraniques, puisqu’elles sont bien antérieures à la naissance de l’Islam. Elles sont nées à l’âge de pierre en Afrique centrale, avant de disséminer sur tout le continent et même, jusqu’au Pakistan et en Indonésie à la suite des conquêtes arabes. Rappelons aussi que le prophète Mahomet, qui condamnait les mortifications, vantait les préliminaires et jugeait importante l’harmonie sexuelle entre époux, n’a excisé ni ses femmes, ni ses filles. En outre, cette tradition se perpétue aussi dans certaines communautés chrétiennes. En Égypte, qui est l’un des pays ou les mutilations sexuelles sont les plus répandues (la momie de Néfertiti prouve que même la reine y avait eu droit), les fillettes coptes sont, encore aujourd’hui, excisées dans les mêmes proportions que les petites musulmanes. Cette opération dangereuse, qu’elle prenne la forme d’une ablation du clitoris ou d’une infibulation4, s’est pratiquée et se pratique encore à une très large échelle à travers le monde5. Elle n’a toujours pas disparue en France, où elle est exécutée clandestinement, dans des conditions d’hygiène désastreuses, par des communautés venues du Mali, du Sénégal, de Mauritanie, de Gambie ou de Guinée6.

Rien à faire : la fillette doit y passer si elle veut un jour pouvoir se marier (avec celui que son père lui aura désigné, cela va sans dire). Les centaines de milliers d’accidents mortels, de cas d’hémorragie, de tétanos, de septicémie, de pathologie urinaire à vie, de fistules, d’accouchements abominables, sans même parler des préjudices psychologique, ne semblent pas des arguments suffisants pour abolir cette coutume.

1 : Simone de Beauvoir, Le deuxième sexe, t. II, chap. III : «L’initiation sexuelle», Paris, Folio Essais, 1986

2 : Élisabeth Badinter, XY. De l’identité masculine, op. Cit.

3 : Rapporté par Elwin Verrier, «The vagina dentata legend», British journal of medical psychology, 1943, vol 19

4 : Dérivé de fibule, l’agrafe. L’infibulation est la suture des grandes lèvres (parfois cousues avec des aiguilles d’accacia), ne laissent plus qu’un minuscule orifice pour l’écoulement du sang menstruel et des urines. La vulve a disparu, seule demeure une cicatrice très dure, quelque fois coupée au poignard par l’époux lors de la nuit de noce. Parfois, le sexe est recousu après la naissance, ou lorsque le mari d’absente (on est jamais trop prudent)

5 : «130 millions de femmes et fillettes sont excisées de par le monde, 9 femmes sur 10 dans les pays les plus touchés (Égypte, Érythrée, Soudan, Mali), 5 femmes sur 10 en centrafrique et côte d’ivoire […] 1500 femmes par mois meurent des suites d’une excision dans la corne de l’Afrique», in Christine Ockrent (dir.) Le livre noir de la condition des femmes, coordonné par Sandrine Treinet, postface de Françoise Gaspard, Paris, Points, 2007

6 : Voir Linda Weil-Curiel, «L’excision en France» in Le livre noir de la condition des femmes, op cit.Voir aussi, du médecin humanitaire Pierre Foldes, «La chirurgie contre l’excision» n Le livre noir de la condition des femmes, op cit.

Le mythe de la virilité, un piège pour les deux sexes ; Olivia Gazalé ; Robert Laffont ; 2017 ; p. 76-78

Compassion à l’égard du châtré de l’imaginaire ! ; Laborit

Aussi faut-il ressentir beaucoup de pitié et de sympathie pour tous ces châtrés de l’imaginaire qui déversent leur hargne, leur rogne et leur grogne, comme disait l’autre, contre le marginal qui déambule en promenant son rêve dans les jardins fleuris où nulle rosette ne pousse. S’ils vitupèrent, s’ils méprisent, ou s’ils font semblant d’ignorer, n’est-ce pas parce qu’ils ont vaguement conscience de leur impuissance ?

La nouvelle grille ; Henri Laborit ; Folio Essai ; Gallimard.
Pg 319-320

Mythologie et misogynie ; Gazalé

En Grèce, les vagues successives d’envahisseurs (achéens, ioniens, doriens), porteurs d’un héritage spirituel nouveau, imposent progressivement leurs valeurs guerrières et leur modèle viriarcal en luttant ardemment contre les déesses du vieux panthéon crétois. Les dieux ouraniens (ou célestes) l’emportent désormais sur les divinités chtoniennes (ou terrestres). C’est ainsi que Zeus, le Dieu du Ciel (le Dyauh des indiens védiques), vole le feu aux déesses et devient le theos suprême d’une Olympe qu’il gouverne en despote orgueilleux et tyrannique, tandis que Poséidon, dieu chtonien, est en régression. Dans de nombreux sanctuaires (Délos, Delphes, Dodone, Claros…), un dieu oraculaire mâle, Apollon, se substitue aux anciennes déesses crétoises Déméter, Gaïa et Rhéa.

Partout, l’ordre apollinien tente de réprimer et de refouler le désordre dionysiaque des monstres matriarcaux : qu’il du combat victorieux d’Apollon contre le dragon femelle Python ou encore de la guerre menée par Zeus contre les Titanides, divinités primordiales pré-olympiennes, c’est toujours la même lutte des fils contre une Grande Déesse démoniaque qui s’exprime dans les récits mythologiques. Car, à l’image de ces terrifiantes figures maternelles, la femme fait peur, elle terrifie, même, surtout quand elle est belle…

Le versant néfaste de la féminité est sans cesse rappelé par Homère qui, dans l’Odyssée, évoque à de nombreuses reprises la séduction maléfique exercée sur Ulysse tantôt encore par les sirènes, tantôt par Circé, la prostituée sacrée qui change les compagnons du roi d’Ithaque en pourceaux, tantôt encore Calypso, la nymphe «aux belles boucles» qui le retient sept ans sur son île. La plus funeste d’entre toutes est la somptueuse Hélène, dont la beauté a entraîné tout un peuple dans l’absurde guerre de Troie racontée dans l’Iliade. Le message est sans ambiguïté : la puissance érotique des femmes est le plus grand des dangers.

Mais c’est surtout à Hésiode que l’on doit la première expression de la misogynie grecque, appelée à une belle et longue postérité. Tandis qu’Homère rendait encore hommage à la fidélité de Pénélope ou se montrait touché par l’émouvante lamentation de Briséis sur le corps de Patrocle1, l’auteur de la Théogonie n’aura pas de mots assez sévère à l’endroit du genos gunaikon , la «race des femmes», à commencer par la première d’entre elles, la maudite Pandore, née de la colère de Zeus contre le Titan Prométhée, le voleur du feu dérobé aux Déesses.

Pour le punir, le dieu du Ciel envoie Pandore sur terre. Parée d’une robe blanche et d’un voile «au mille broderies, merveille pour les yeux», coiffée d’un diadème d’or, la créature « au beau corps aimable de vierge» est comblée de présents par les dieux, d’où son nom qui signifie «tous les dons». Puis elle est remise aux hommes, pour leur plus grand malheur, car «c’est de là qu’est sortie la race, l’engeance maudite des femmes, terrible fléau installé au milieu des mortels».

Le mythe est repris dans Les travaux et les jours, où la colère de Zeus s’exprime en ces termes : «Moi, en place du feu, je leur ferai présent d’un mal en qui tous, au fond du cœur, se complairont à entourer d’amour leur propre malheur». Aphrodite est chargée de transmettre à Pandore « le douloureux désir», Hermès de la doter d’un «esprit impudent» et d’un «cœur artificieux». La suite est bien connue : belle comme la nuit, curieuse comme une fouine, la jeune femme brave l’interdit de Zeus, soulève le couvercle de la jarre qu’il lui a offerte pour ses noces et en laisse échapper les tourments, «les peines, la dure fatigue, les maladies douloureuses qui apportent le trépas aux hommes». La guerre, la famine, le vice, la tromperie, la passion, ainsi que tous les autres maux s’abattent sur l’humanité, tandis que l’espérance reste emprisonnée dans la funeste boite.

1 : Voir Robert Flacelière, L’amour en Grèce,Paris, Hachette, 1960

Le mythe de la virilité, un piège pour les deux sexes ; Olivia Gazalé ; Robert Laffont ; 2017 ; p. 72-73

grecque, mythologie

L’intuition, une logique inconsciente qui doit être nourrie par la collecte d’informations ; Laborit

Nous avons dit qu’un enfant nouveau-né était incapable de création, car il n’a à sa disposition aucun acquis mémorisé susceptible de lui fournir le matériel nécessaire à l’expression des ses facultés associatives. Nous devons par contre souligner que l’acquis mémorisé ne peut être présent à chaque instant dans le champ de la conscience du chercheur et que la plus grande partie de notre mémoire représente un matériel sorti depuis plus ou moins longtemps de ce champ de la conscience et qu’il n’est pas toujours facile de l’y rappeler par un processus de remémorisation. Tout se passe cependant (et l’expérience journalière d’une activité de recherche est là pour le montrer) comme si cet acquis inconscient, à condition toutefois, répétons-le, qu’il ne soit pas trop étroitement emprisonné par des automatismes acquis, était capable de jouer son rôle de substrat des processus associatifs. Les structures imaginaires auxquelles il est alors susceptible de donner naissance affleurant secondairement à la conscience, apparaîtront comme un don gratuit d’une déesse favorable : l’intuition. En réalité, l’intuition réclame un long effort, un lourd travail, celui de la collecte des informations. Mais cette collecte n’aura peut-être pas besoin de s’accompagner du maintien de l’expérience dans le champ du discours logique. Si l’on admet cette hypothèse, que bien des faits expérimentaux du domaine de la neuropsychologie tendent à faire accepter, on devra même à un degré de plus se méfier de la logique consciente capable d’étouffer dans certains cas la logique inconsciente. La logique inconsciente n’est pas en effet celle du discours, mais bien celle de la biochimie complexe qui gouverne l’activité de nos neurones cérébraux.

La nouvelle grille ; Henri Laborit ; Folio Essai ; Gallimard.

Pg 319-320