La mysoginie et l’homophobie; Gazalé

Les liens entre misogynie et homophobie sont étroits depuis toujours ; plus une société déconsidère les femmes, plus elle traque les homosexuels. Leur existence inquiète, car elle remet en question les fondements même du système viriarcal. Elle en constitue pourtant la pierre angulaire, car être un homme, c’est d’abord et avant tout ne pas être un homosexuel, ni même effémine. Avant d’être définie positivement, la virilité l’est négativement, par ce dont il faut à tout prix se démarquer. Mais faudrait-il le faire avec autant de violence et de fanatisme si la frontière entre homo- et hétérosexualité n’était pas aussi poreuse ? La virilité n’est-elle pas travaillée sans cesse par l’éffémination et par l’homoérotisme comme par des rêveries, des regrets ou des fantasmes secrètement refoulés ?

La question en porte pas ici sur l’homosexualité en elle-même, ni sur l’immense débat sur sa genèse individuelle (génétique ou psychologique?), sujets immenses qui nous emporteraient trop loin, mais sur les discours homophobe, en tant qu’il constitue l’une des expressions les plus constantes et les plus douloureuses de l’oppression de l’homme par l’homme, tout en révélant l’immense faillibilité du mythe viril. Diriger sa hargne contre l’homosexuel, n’est-ce pas, pour certains hommes, une manière de se défendre psychiquement contre l’ambiguïté de leurs propres pulsions ? Extérioriser un conflit intérieur est en effet le meilleur moyen de le rendre vivable.

L’obstination à désigner comme «contre nature» des penchants que ladite nature a aussi généreusement distribués sous toutes les latitudes et à toutes les époques signale la volonté de maintenir la préférence homosexuelle verrouillée dans la monstruosité. L’Ancien Testament en fait une «abomination», une offense impardonnable au dessin divin, une négation de l’alliance entre Dieu et les hommes, bref une «idolâtrie»:«Si un homme couche avec un homme comme on couche avec une femme, ils ont commis tous deux une action abominable. Ils seront punis de mort : leur sang doit retomber sur eux», dit sévèrement le Lévitique. Aussi est-ce parmi les «idolâtres» que Paul rangera, dans l’Épître aux Romains, ceux qui se livrent à cette «passion infâme», jugée, comme chez Platon, «contre nature».

À l’époque, l’argument du «contre nature» pouvait passer pour intellectuellement recevable, l’anthropologie n’ayant pas encore révélé son omniprésence chez les humains, ni la biologie sa fréquence chez les animaux. Mais depuis que l’on sait que l’on sait que l’homosexualité apparaît invariablement dans toutes les cultures1 et chez plus de 400 espèces animales2, notamment des mammifères proches de l’homme, comme le bonobo, le macaque, ou encore le lion, l’éléphant de mer, le dauphin, le canard col-vert, le goéland femelle et certaines lézardes3, le doute n’est plus permis4. Comme l’écrit l’anthropologue canadienne Heler Fischer, «en fait, l’homosexualité animale est si courante – et elle saute aux yeux dans une telle variété d’espèces et de circonstances – qu’en comparaison, l’homosexualité humaine étonne plus par sa rareté que par sa fréquence5».

1 : D’après Frédérick Whitam, qui a travaillé dans les communautés homosexuelles de pays aussi différents que les États-Unis, le Guatémala, le Brésil et les Philippines, «Culturally Invariable properties of male homosexuality : tentative conclusions from cross-cultural research», Archives of sexual behavior, vor. 12, n°3, 1983, cité par Élisabeth Badinter, XY. De l’identité masculine.

2 : John Sparks, La vie amoureuse et érotique des animaux, Paris, Bedford, 1978.

3 : Les Cnemidophorus ont même éliminé en chemin les mâles au cours de l’évolution.

4 : Dans la nature, il existe de nombreux schémas différents relatifis à la conjugalité, au rapport à la progéniture, au territoire et à la nourriture.

5 : Helen Fischer, Histoires naturelles de l’amour, trad. De l’anglais par Évelyne Gasarian, Paris, Robert Laffont, 1994

Le mythe de la virilité, un piège pour les deux sexes ; Olivia Gazalé ; Robert Laffont ; 2017 ; p. 285-294

Nouvelle définition de l’Homme ; Laborit.

l faut propager au plus vite cette notion que l’homme « n’est » pas une force de travail, mais une structure qui traite l’information et qui se trouve être également une source nouvelle d’information. Qu’une partie de celle-ci lui serve à transformer la matière et l’énergie aboutisse à la création d’objets, que ceux-ci aient avant tout une valeur d’usage, avant d’avoir une valeur d’échange, cette dernière assurant d’abord le maintien de la dominance, est admissible. Mais que cette information que sécrète son cerveau imaginant lui serve exclusivement à produire des objets, des marchandises, c’est là qu’est l’erreur fondamentale qu’ont entretenue les idéologies socio-économiques contemporaines. Il est grand temps que l’homme réalise que cette information doit avoir avant tout pour objet la création d’informations-structures sociales qui ne soient plus centrés sur le processus de production matérielle. Puisque la masse et l’énergie ont perdu une grande partie de leurs secrets, n’est-ce pas les secrets de l’information-structure biologico-sociale qui doivent être la plus pressante des préoccupation ? Après avoir passé des siècles à étudier scientifiquement, c’est-à-dire expérimentalement la matière inanimée, ne serait-il pas temps qu’il commence de la même façon à étudier, enseigner, généraliser, diffuser les lois structurales de la matière vivante jusqu’aux ensembles humains, en abandonnant à son sujet les discours interprétatifs concernant le signifié dans l’ignorance où il était du signifiant ?

La nouvelle grille ; Henri Laborit ; Folio Essai ; Gallimard.

Pg 329-330

La femme à Athènes; Gazalé

A Athènes, si gamos était un espace occupé par une épouse unique, en revanche, l’univers d’éros était celui de la multiplicité. Sans parler de l’appétit pour les éphèbes et la chair masculine, dont il sera question plus tard, le désir d’un sexe féminin accueillant trouvait à se satisfaire auprès des concubines (pallakè), des courtisanes (hétaïrè) et des prostituées (pornè). Celle des quatre figures (en comptant la gunè, l’épouse) dont le sort était le plus enviable était assurément l’hétaïrè. Tandis que la pornè était méprisée, que la gunè était vouée à l’ignorance, au silence et à l’invisibilité, tout comme la pallakè – trop pauvre pour être épousableet souvent juste vouée à fournir des enfants supplémentaires pour lutter contre la dépopulation – l’hétaïrè était une femme dont la compagnie était très recherchée. Elle était experte en jeux amoureux et appréciée pour sa conversation, à l’image de la belle Aspasie, une Milésienne1 à laquelle son statut d’étrangère permettait de jouir de grandes libertés, voire d’une réelle influence intellectuelle et politique, puisqu’elle ouvrit une école de rhétorique très réputée à Athènes et fut l’habile conseillère de Périklès (dont le nom signifie « entouré de gloire »), le plus grand stratège de l’antiquité grecque.

On retrouve ce clivage entre éros et gamos à Rome. L’historien Thierry Eloi2 nous apprend même que lorsqu’un homme prenait trop de plaisir avec sa femme, celle-ci pouvait aller s’en plaindre à son beau-père, qui se chargeait de réprimander son fils. Les maris considérés comme uxoriosis, c’est-à-dire trop ardents avec leur épouse, étaient traînés au tribunal où ils s’entendaient dire, dans le langage fleuri qui caractérise la Rome antique : « Si vous avez envie de vous vider les couilles, allez donc au lupanar ! » L’historien raconte à ce sujet une anecdote, célèbre à l’époque : Caton l’Ancien, austère citoyen romain, croise la route d’un jeune homme qui hésite à entrer dans un de ces lieux de débauche et lui assène : « Mais si, si, vas-y ! Il faut que tu y ailles car c’est la preuve que tu n’auras pas de comportement indécent avec ton épouse ! ».

1 : Danielle Jouanna, Aspasie de Milet, égérie de Périclès, Paris, Fayard, 2005

2 :Auteur, avec Florence Dupont, de L’érotisme masculin dans la Rome antique, Paris, Belin, 2013

Le mythe de la virilité, un piège pour les deux sexes ; Olivia Gazalé ; Robert Laffont ; 2017 ; p. 165-166