A Athènes, si gamos était un espace occupé par une épouse unique, en revanche, l’univers d’éros était celui de la multiplicité. Sans parler de l’appétit pour les éphèbes et la chair masculine, dont il sera question plus tard, le désir d’un sexe féminin accueillant trouvait à se satisfaire auprès des concubines (pallakè), des courtisanes (hétaïrè) et des prostituées (pornè). Celle des quatre figures (en comptant la gunè, l’épouse) dont le sort était le plus enviable était assurément l’hétaïrè. Tandis que la pornè était méprisée, que la gunè était vouée à l’ignorance, au silence et à l’invisibilité, tout comme la pallakè – trop pauvre pour être épousableet souvent juste vouée à fournir des enfants supplémentaires pour lutter contre la dépopulation – l’hétaïrè était une femme dont la compagnie était très recherchée. Elle était experte en jeux amoureux et appréciée pour sa conversation, à l’image de la belle Aspasie, une Milésienne1 à laquelle son statut d’étrangère permettait de jouir de grandes libertés, voire d’une réelle influence intellectuelle et politique, puisqu’elle ouvrit une école de rhétorique très réputée à Athènes et fut l’habile conseillère de Périklès (dont le nom signifie « entouré de gloire »), le plus grand stratège de l’antiquité grecque.
On retrouve ce clivage entre éros et gamos à Rome. L’historien Thierry Eloi2 nous apprend même que lorsqu’un homme prenait trop de plaisir avec sa femme, celle-ci pouvait aller s’en plaindre à son beau-père, qui se chargeait de réprimander son fils. Les maris considérés comme uxoriosis, c’est-à-dire trop ardents avec leur épouse, étaient traînés au tribunal où ils s’entendaient dire, dans le langage fleuri qui caractérise la Rome antique : « Si vous avez envie de vous vider les couilles, allez donc au lupanar ! » L’historien raconte à ce sujet une anecdote, célèbre à l’époque : Caton l’Ancien, austère citoyen romain, croise la route d’un jeune homme qui hésite à entrer dans un de ces lieux de débauche et lui assène : « Mais si, si, vas-y ! Il faut que tu y ailles car c’est la preuve que tu n’auras pas de comportement indécent avec ton épouse ! ».
1 : Danielle Jouanna, Aspasie de Milet, égérie de Périclès, Paris, Fayard, 2005
2 :Auteur, avec Florence Dupont, de L’érotisme masculin dans la Rome antique, Paris, Belin, 2013
Le mythe de la virilité, un piège pour les deux sexes ; Olivia Gazalé ; Robert Laffont ; 2017 ; p. 165-166