Voici notre pays si vertueux, en véritable «transition écologique» : nous produisons 2 tonnes de déchets industriels par habitant et par an, presque 5 kg par jour! Chaque jour, chacun d’entre nous génère 12 tonnes-km de fret, soit environ 100 kg sur une moyenne de 120 km, à 88 % en transport routier. Nos entées de ville en sont les témoins, nous avons artificialisé 1 % du territoire – en l’espace de 10 ans, puis encore 1 % en sept ans seulement ! Souvent sur les meilleures terres agricoles, un gâchis irréversible : rien de comestible ne repoussera avant des milliers d’années sous le bitume des parkings de supermarchés. À l’échelle mondiale, 20 % de la population continue à s’accaparer plus de 80 % des ressources, et l’on s’apprête à extraire de la croûte terrestre plus de métaux en une génération que pendant toute l’histoire de l’humanité. On aurait beau jeu d’accuser le «décollage» des pays émergents, Chine en tête. Mais n’oublions pas que la consommation de ressources en Chine est aussi tirée par son rôle d’usine du monde et que nous importons donc, directement ou indirectement, une bonne part.
Le monde est un Far West. La façade, du côté des consommateurs, tente de faire à peu près bonne figure : dans les réclames, les magasins, les rayons des supermarchés, tout va pour le mieux. Mais à l’autre bout de la chaîne, les conséquences de la production d’objets nous échappent, même en étant doté des meilleures intentions. J’achète un téléphone portable en France, et ce faisant j’ai exploité des mineurs du Congo, détruit des forêts primaire de Papouasie, enrichi des oligarques russes, pollué des nappes phréatiques chinoises, puis, douze à dix-huit mois plus tard, j’irai déverser mes déchets électroniques au Ghana ou ailleurs.
Le monde est une immense machine à expresso, ce modèle si emblématique de notre système économique est industriel, celui, si pratique, où la capsule de café vide disparaît dans les entrailles de l’appareil. Le déchet est escamoté et nié jusqu’au rapide est discret vidage du bac de récupération, et, pour les plus aisés, c’est même la femme de ménage qui se chargera de sortir les poubelles…Et pendant ce temps, les derniers éléphants que l’on braconne, les dernières forêts primaires qui disparaissent pour être transformées en mouchoirs en papier (Tasmanie et Canada), en contreplaqué de chantier et palmeraies à huile (Indonésie et Malaisie), en champ de soja transgénique (Brésil et Argentine), les océans qui se couvrent de débris plastiques, les terres et les eaux que l’on empoisonne durablement aux pesticides… Pas de quoi pavoiser.
L’âge des Low Tech, Philippe Bihouix ; Anthropocène ; Seuil ; 2014 ; pp 16-18