Les cinq sexes; Gazalé

-Chacun de nous a, en réalité, non pas un, mais cinq sexes (chromosomique, hormonal, anatomique, social et psychologique).

– Nous ne sommes ni homme, ni femme, pendant les six ou sept premières semaines de notre vie intra-utérine. Nos organes génitaux sont sexuellement indifférenciés. Tout embryon possède, au départ, un système reproducteur androgyne, constitué de gonades, lequelles pourront de développer ultérieurement, soit en testicules, soit en ovaires, et de deux canaux reproductifs, un mâle (le canal de Müller1) et un femelle (le canal de Wolff2), dont un finira par avoir raison de l’autre. Nous sommes donc tous, originellement hermaphrodites.

Observons très sommairement le processus de différenciation sexuelle, tel qu’il s’opère durant la grossesse. Un premier sexe apparaît, le sexi chromosomique, ou génétique : certains embryons sont porteurs d’une paire de chromosomes XX, les autres d’une paire de chromosomes XY. Durant les toutes premières semaines de gestation, chez les XY, la composante «virile», Y est inactive, et le chromosome X fonctionne en quelque sorte tout seul. Ce n’est qu’entre la sixième et la douzième semaine que va s’opérer la différenciation sexuelle. Y entre alors en jeux et active un gène surpuissant : le SRY3. Celui-ci va informer le deuxième sexe, ou sexe hormonal, qui lui-même va déterminer le troisième sexe, ou le sexe anatomique en déclenchant, en cascade, toute une série de processus. Chez les XX, qui n’ont pas ce gène, les gonades deviennent des ovaires, le canal de Müller évolue en appareil reproducteur féminin et le canal de Wolff se résorbe petit à petit. C’est, en quelque sorte, le dévoloppement par défaut. Au contraire, chez les XY, l’action de Y transforme les gonades en testicules, qui sécrètent de la testostérone, laquelle stimule le canal de Wolff et l’atrophie de celui de Müller.

L’explication la plus parlante que j’aie lue de cette différenciation des sexes, je l’ai trouvée dans le romant Middlesex de Jeffrey Eugenides, qui raconte l’histoire vraie d’une jeune fille, Calie, qui découvre fortuitement, à l’âge de 15 ans, que, pour le corps médical, elle est un garçon. Et un garçon malade, souffrant du «syndrome du déficit en 5 alpha-réductase de type 2». Un cas très rare, d’autant que son pédiatre n’avait jamais rien remarqué d’anormal : elle présentait un «sexe de fille» qui cachait en réalité, des testicules. Personne n’avait rien vu, Calie avait grandi en ravissante poupée aux cheveux longs. Le spécialiste de l’hermaphrodisme qui la prend alors en charge, le professeur Peter Luce4, va lui expliquer comment l’intersexuation est possible ; pour cela, il commence par lui révéler l’androgynie primitive de la vie intra-utérine. «Ce que je suis en train de dessiner, commença-t-il, sont les structures génitales du fœtus. En d’autres termes, voilà à quoi ressemblent les parties génitales d’un bébé dans l’utérus, dans les premières semaines qui suivent la conception. Mâle ou femelle, c’est pareil. Ces deux cercles sont ce qu’on appelle les gonades. Ce petit gribouillis ici est le canal de Wolff. Et cet autre gribouillis est le canal de Müller. OK ? Ce qu’il faut garder à l’esprit, c’est que tout le monde commence comme ça. Nous naissons tous potentiellement garçon ou fille. Vous […] moi -tout le monde. Maintenant – il se remit à dessiner – , pendant que le fœtus se dévoloppe dans l’utérus, ce qu’il se passe, c’est que les hormones et les enzymes sont sécrétées – donnons leur la forme de flèche. Que font ces hormones et ces enzymes ? Eh bien sur elle transforment ces cercles et ces gribouillis soit en partie génitales masculines soit en parties génitales féminines. Vous voyez ce cercle, la gonade ? Elle peut devenir soit un ovaire, soit un testicule. Et ce tortillon de canal de Müller peut soit dépérir – il le biffa – soit devenir un utérus, des trompes de Fallope, et l’intérieur d’un vagin. Ce canale de Wolff peut soit disparaître soit devenir une vésicule séminale, un épididyme, et un canal déférent. Selon les influences hormonales. Ce qu’il faut se rappeler c’est cela : chaque bébé possède des structures mülleriennes, qui sont des parties génitales potentielles fémines, des structures wolffiennes, qui sont des parties génitales potentielles masculines. Ce sont les organes génitaux internes. Mais la chose est valable pour les organes génitaux externes. Un pénis n’est qu’un grand clitoris. Leur racine est la même.» Voilà pourquoi l’intersexuation est possible : la différinciation primaire en fille ou garçon ne s’opère pas de manière habituelle durant la gestation.

Rien qu’à ce stade, purement physiologique, les choses s’agencent parfois de manière insolite, sous l’effet des différents facteurs, comme par exemple, un trouble de la production hormonale, d’autant plus fréquent que les mâles sécrète aussi des hormones femelles et toute les femelles des hormones mâles. L’embryon se développe alors de façon atypique : chez la fille, la surproduction d’androgènes5 peut parfois, la doter d’un clitoris ressemblant à un micropénis, tandis que, chez le garçon, la surproduction d’oestrogènes peut le priver de testicules, ou bloquer leur descente, comme pour Calie. La biologiste américaine Anne Fausto-Sterling a ainsi montré qu’il existait trois type d’hermaphrodisme : les hermaphrodites véritables (herms) possèdent un testicule et un ovaire, les pseudo-hermaphrodites masculins (merms) présentent des testicules, pas d’ovaires, mais quelques aspects de l’appareil génital féminin, et enfin les pseudo-hermaphrodites féminins (ferms) ont des ovaires, pas de testicules, mais quelques aspects de l’appareil génital masculin. Ces trois catégories sont elles-mêmes sujettes à des variations importantes6 .

Tout se complique encore avec l’apparition du quatrième sexe, ou sexe social, autrement dit le genre (identité de genre)- «c’est une fille» ou «c’est un garçon» – étade liée à la visibilité des organes génitaux, autrefois située à la naissance, mais rendue possible aujourd’hui dès la 20 semaine de grossesse, grâce à l’échographie. Ce genre déterminera toute l’éducation. La plupart du temps, il est en concordance avec le cinquième sexe, ou sexe psychologique (sentiment d’identité de genre). Mais il arrive que cette harmonie entre les deux n’existe pas. Les souffrances psychologiques du sujet sont alors d’autant plus importants que son milieu familial refuse d’en admettre l’ampleur et que le regard de la société est accusateur.

Car chacun d’entre nous est sommé d’interprèter le rôle social que son genre lui assigne, à la façon d’un interprète, qui joue une partition qu’il n’a pas écrite. Le mérite de Judith Butler est d’avoir mis en évidence le caractère contraignant de cette parade quotidienne, de cette «activité incessante et répétitive», consistant à se mettre en scène pour «faire la femme» ou «mimer l’homme», à travers toute une discipline corporelle et esthétique, incluant le code vestimentaire, la ligne, la coiffure, la façon de parler, de marcher, de se tenir…Autant de pratiques relevant de la «performance» et se déployant à l’intérieur d’une «scène de contrainte» extrêmement normative et, surtout, discriminatoire, puisque ceux ou celle qui ne se conforment pas à leur rôle sont stigmatisés et ostracisés.

Or, selon la philosophie, ces codes ne renvoient à aucune réalité empirique : ils sont entièrement produits par le système symbolique. Ce qui signifie que la «féminité» et la «virilité» sont des représentations sans contenu, ou des copies sans original. C’est la raison pour laquelle la figure de drag-queen lui est si chère : cet homme qui parodie la féminité (en se parant de ses attributs les plus caricaturaux) ne fait, en réalité, que parodier une représentation de la féminité et non la féminité elle-même, qui n’existe pas : «La parodie du genre révèle que l’identité originale à partir de laquelle le genre se construit est une imitation sans original.» Ainsi, en détournant et en retournant l’assignation normative, le travesti révèle la structure fondamentalement artificielle du genre, et sa possible non concordance avec le sexe psychologique, auquel l’individu se sent, dans son for intérieur, appartenir.

1 : Chez la fille, le canal de Müller deviendra plus tard l’utérus, les trompes de Fallope et une partie du vagin.

2 : Chez le garçon, le canal de Wolff évoluera en vésicule séminale, en canal déférent et en épididyme.

3 : Gène SRY, de l’anglais sex determination region of Y chromosome.

4 : En 1968, le Dr Luce fonda la clinique des désordres sexuels et de l’identité de genre

5 : Hyperplasie congénitale des glandes surrénales

6 : Anne Fausto-Sterling, Les cinq sexes. Pourquoi mâle et femelle ne sont pas suffisants, trad. de l’anglais (États-Unis) par Anne-Emmanuelle Botert, préface de Pascule Molinier, Paris, Payot et Rivages, 2013

Le mythe de la virilité, un piège pour les deux sexes ; Olivia Gazalé ; Robert Laffont ; 2017 ; p. 372-376

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