Dans les activités «amont» de production (agriculture, élevage, pêche), il nous faudra être capable de nourrir l’humanité dans les décennies à venir, mais sans entamer les capacités à se nourrir pour les prochains siècles. Tout cela si possible en produisant des aliments de qualité, bénéfiques pour la santé, et réduisant l’impact environnemental des activités agricoles, notamment en évitant de dévaster les derniers espaces naturels (actuellement transformés à grande vitesse en terres arables pour compenser l’épuisement des sols) et agricoles (réduits à des déserts biologiques via l’utilisation abusive des pesticides). Il s’agira donc de réussir à maintenir pour l’essentiel ou améliorer les rendements surfaciques, tout en diminuant les besoins en intrants : engrais de synthèse (nitrates) ou issus de l’exploitation minière (phosphates et potasses) et pesticides (herbicides, insecticides, fongicides…). Dans les activités «aval» des filières de transformation et de distribution, il faut réduire la quantité de transports, d’emballages et de déchets générés.
Soyons clair, on n’en prend pas vraiment le chemin, que ce soit au niveau mondial ou national. La consommation annuelle mondiale de pesticides est ainsi passée, entre 1945 et 2007 de 0.05 à 2.5 millions de tonnes, pendant que dans la même période la toxicité des produits utilisés a elle-même été multipliée par un facteur 10 (soit un besoin dix fois moindre pour obtenir le même effet) ! Il existe aujourd’hui plus de neuf cent substances actives répertoriées, et de quinze s’y ajoutent chaque année, ce qui rend inenvisageable toute étude sérieuse prenant en compte la combinatoire d’effets entre produits. L’Europe est championne du monde – 3.9 kg par hectare et par an (kg/ha/an) pour une moyenne mondiale de 1.5 kg/ha/an – et la France championne d’Europe à 4.5 kg/ha/an. Ce qui s’explique par une longue tradition viticole française, culture très sensible aux maladies et aux agressions.
La consommation d’engrais augmente aussi au niveau mondial (de 30 à 170 millions de tonnes entre le début des années 1960 et aujourd’hui), car la surface de terres agricoles amendées se développe, même si le poids à l’hectare (110 kg/ha/an en moyenne) a plutôt tendance à stagner ou diminuer grâce à une utilisation plus rationnelle et économique, du fait d’une meilleure compréhension de la composition et de la dynamique des sols.
L’âge des Low Tech, Philippe Bihouix ; Anthropocène ; Seuil ; 2014 ; pp 173-174