Faisons d’abord une mise au point, car on met souvent derrière l’augmentation de la productivité agricole un peu de tout, de la révolution verte à la baisse du nombre d’agriculteurs un passant par les bienfaits de la mécanisation. Or il ne faut surtout pas confondre le rendement et la productivité (voir figure ci-dessous)

Le rendement agricole, c’est la production par hectare. Celui-ci dépend de la nature des sols et des climats, et en premier lieu de l’espèce cultivée. Il peut augmenter grâce à la sélection des variétés, aux méthodes de culture, à l’utilisation d’engrais pour favoriser la pousse, de pesticides pour réduire les pertes.
La productivité agricole, c’est la production par travailleur. Celle-ci dépend de la surface que peut cultiver un travailleur, multipliée par la production par unité de surface, c’est-à-dire le rendement. À rendement constant, la productivité augmente en passant de la culture manuelle à la traction animale, puis à la mécanisation, qui permet de cultiver toujours plus d’hectares avec moins de monde.
Lorsque l’on parlera de coût de revient, de prix, de compétitivité de notre agriculture dans un système mondialisé, c’est la productivité qui nous intéressera. Mais si l’on veut nourrir la planète, quel que soit le nombre de bras mis au travail pour cela, c’est bien de rendement surfacique qu’il faudra parler.
Et justement, la productivité continue à augmenter, tant dans les pays « développés» que dans les pays «émergents», par une mécanisation toujours plus lourde (tracteurs et engins plus puissants et plus sophistiqués, guidage GPS) et par l’augmentation de la taille des parcelles, et, globalement, des exploitations agricoles toujours moins nombreuses. Tandis que le rendement par hectare, lui, commence à stagner pour certaines cultures, voir l’exemple du blé tendre en France depuis une quinzaine d’années. Le «miracle» de l’agriculture des dernières années – en tout cas en France – c’est de produire à peu près la même quantité avec moins de personnel, c’est tout. Mais cela au prix de déboires environnementaux (algues vertes, sols épuisés, déforestations tropicales…) et sociétaux (désertification des campagnes, suicide de paysans, augmentation du chômage…).
L’âge des Low Tech, Philippe Bihouix ; Anthropocène ; Seuil ; 2014 ; pp 174-176