Toilette sèche vs système moderne ; Bihouix

Un dernier mot cependant à ceux que les toilettes sèches dégoûteraient : on n’a pas tant que cela évolué par rapport au moyen âge dans notre système de gestion des eaux. On capte de l’eau potable dans les fleuves (en partie au moins, et le reste dans les nappes phréatiques) et on y rejette les eaux usées. La différence est qu’il y a maintenant un traitement après captage et avant rejet. Mais l’aval des uns étant l’amont des autres, à moins d’habiter à la montagne, on boit littéralement les eaux usées des camarades qui habitent en amont. On évite donc les dérangements intestinaux grâce au Chlore, essentiellement. Est-ce tellement plus ragoûtant que des toilettes sèches à la sciure ? Et n’en profitez pas pour vous précipiter sur l’eau en bouteille !

L’âge des Low Tech, Philippe Bihouix ; Anthropocène ; Seuil ; 2014 ; pp 187

Sociétés autonomes et indépendantes, Tainter

Les citoyens des sociétés complexes modernes ne réalisent généralement pas que nous sommes une anomalie le l’Histoire. Tout au long des millions d’années où des humains identifiables en tant que tels sont reconnus avoir vécu, l’unité politique courante était la petite communauté autonome, agissant indépendamment et étant en grande partie autosuffisante. Robert Carneiro1 a estimé que 99,8 % de l’histoire de l’humanité a été dominé par ces communautés locales autonomes. C’est au cours des six mille dernières années seulement que quelque chose d’inhabituel est apparu : des États indépendants, hiérarchisés et organisés, qui sont la référence majeure pour notre expérience politique contemporaine. Les sociétés complexes, une fois établies, ont tendance à s’étendre et à dominer, si bien qu’aujourd’hui elles contrôlent la plupart des terres et des habitants de la planète, et sont perpétuellement contrariées par celles et ceux qui restent hors de leur portée. Un dilemme en émerge : aujourd’hui ce sont surtout les formes politiques qui sont une anomalie de l’Histoire que nous connaissons bien ; nous pensons qu’elles sont normales et la majorité de l’expérience humaine nous est étrangère. Il n’est guère surprenant que l’effondrement soit perçu avec autant d’effroi.

Les petites communautés acéphales qui ont dominé notre histoire n’étaient pas homogènes. Le degré de variation parmi de telles sociétés est élevé. Bien qu’elles soient caractérisées (comparées à nous) comme étant «simples», ces sociétés montrent néanmoins des variations de taille, de complexité, de hiérarchisation, de différentiation économique et autres facteurs. C’est à partir de cette variation que nombre de nos théories sur l’évolution culturelle ont été développées.

Les sociétés plus simples sont bien sûr comparativement plus petites. Elles comptent d’une poignée d’individus à plusieurs milliers, qui sont unis au sein d’unités socio-politiques englobant des territoires proportionnellement petits. De telles sociétés ont tendance à être organisées sur la base de la parenté, avec un statut familial, et centrées sur l’individu. Dans une telle société, tout le monde ou presque se connaît et peut classer chacun individuellement en fonction de sa position et de sa distance dans un tissu de relations familiales2.

Le leadership dans les sociétés les plus simples a tendance à être minimal. Il est personnel et charismatique, et il n’existe que pour les objectifs propres. Le contrôle hiérarchique n’est pas institutionnalisé, mais il est limité à des sphères d’activité définies et à des moments spécifiques, et repose sur la persuasion3. Sahlins a saisi l’essence de la petite chefferie dans ces sociétés. Le détenteur d’une telle position est un orateur, un maître de cérémonies, ne disposant par ailleurs que de peu d’influence, peu de fonctions et aucun privilège ou pouvoir de coercition. Un mot prononcé par un tel chef, note Sahlins, «et tout le monde fait ce qui lui plaît»4.

Dans cette société, l’égalité réside dans l’accès individuel direct aux ressources de subsitance, dans la mobilité et la possibilité de se retirer simplement d’une situation sociale intenable, ainsi que dans les conventions qui empêchent l’accumulation économique et imposent le partage. Les chefs, lorsqu’ils existent, sont contraints de n’exercer aucune autorité, de ne pas accumuler de richesses ni d’acquérir un prestige excessif. Quand il existe des différences dans le contrôle économique des ressources, celles-ci doivent être exercées avec générosité5.

Soit l’expression de l’ambition personnelle est réprimée, soit celle-ci est canalisée afin de satisfaire le bien public. La voie vers une position publique élevée consiste à acquérir un excédent de ressources de subsistance et à la distribuer de façon à acquérir du prestige au sein de la communauté et à se créer des partisans et une faction6. Quand plusieurs individus ambitieux suivent cette voie, ils se font concurrence constante et s’engagent dans une lutte de position. Le résultat est un environnement politique instable et fluctuant, dans lequel des chefs éphémères connaissent l’ascension puis la chute, et où la mort d’un chef entraîne la disparition de sa faction et le regroupement politique inconditionnel.

1 : Carneiro Robert L., Political expansion as an expression of the principle of competitive exclusion. In Origins of the state : the anthropology of political evolution, edited by Ronald Cohen and Elman R. Service, 1978, p.219 ; institute for the study of Human issues, Philaderphia.

2: Service Elman R., Primitive Social Organization, an evolutionary perpective. Random House, New York, 1962

3: Service, 1962 ; Fried Morton H., The evolution of political seciety, an essay in political anthropology, Random House, New York, 1967

4: Sahlins Marshall D., Tribesman, Prentice-Hall, Englewood Cliffs, 1968, p.21

5: Gluckman Max, Politics, law and ritual in tribal siciety : Aldine, Chicago,1965 ; Woodburn James, Egalitarian societies,. Man 17, pp. 431-451, 1982

6: Service, 1962 ; Gluckman, 1965 ; Sahlins Marshall D., Poor man, Rich Man, Chief : Political types in Melanesia and Polynesia, Comparative studies in society and history 5, 1963 pp. 285-303 ; Sahlins Marshall D., Tribesman, Prentice-Hall, Englewood Cliffs, 1968

L’effondrement des sociétés complexes ; Joseph A. Tainter ; édition française, Le retour aux sources, 2013, pp. 27-28

Absurdité du système moderne d’épuration d’eaux ; Bihouix

Avec l’élevage et l’agriculture répartis sur les mêmes territoires, on améliore grandement la question des engrais, qui peuvent redevenir majoritairement organiques : fumiers et déchets d’abattoir (os, corne, sang desséché) pour l’azote (N) et le Phosphate (P), ou cendre de potassium (K)…

Cependant, le principe de Lavoisier étant toujours valable, il reste les nutriments présents dans les aliments que l’on prélève à la terre, et qu’il faut, à un moment ou à un autre, retourner – ce que l’on ne fait pas actuellement, d’où la compensation par des amendements de synthèse ou miniers. J’en arrive donc à la partie délicate du «programme», puisqu’il faudrait, idéalement récupérer les précieux azote, phosphore et potassium dans les matières fécales. Pour ces dernières, ce fut une longue habitude des paysans et maraîchers périurbains que de récolter goulûment, après passage intermédiaire par les «voiries», la «poudrette» issue des excreta urbains.

Disons que, sous nos latitudes, à peu près toutes les eaux usées passent par une station d’épuration, ou en fosse septique. Deux possibilités : soit on capte «à la source» (toilettes sèches en habitat individuel, récupération séparée des urines en habitat collectif, avec des exemples en Europe du Nord…), soit on récupère les boues en sortie de station d’épuration. Mais ces boues, dans le système actuel, sont fortement polluées : par les produits chimiques présents dans les eaux usées – cosmétique, produits d’entretien, peintures, médicaments… – et par les polluants léchés sur les sols par les eaux de pluie, majoritairement en provenance des pots d’échappement et des pneus des véhicules. En réduisant à la source la pollution (produits ménager et cosmétiques «bio», réduction très forte de l’utilisation des véhicules en ville), on pourrait réduire la pollution de ces boues , mais pas complètement sans doute, à cause de la pollution déjà présente sur tous les sols artificialisés, qui mettra longtemps à partir, ou ne partira pas du tout, quand c’est le bitume lui-même qui contient des métaux lourds.

L’âge des Low Tech, Philippe Bihouix ; Anthropocène ; Seuil ; 2014 ; pp 186-187

Les sociétés après l’effondrement-2, Tainter

Cause ou conséquences, peu importe, la réduction rapide et prononcée de la population et de sa densité va de pair avec l’effondrement. Non seulement les populations urbaines diminuent considérablement, mais c’est également le cas des populations de soutien dans les régions rurales. De nombreux villages sont abandonnés simultanément. Le niveau démographique et le taux d’implantations humaines peut baisser jusqu’à revenir à celui de siècles ou même de millénaires précédents.

Des sociétés plus simples qui s’effondrent, comme les Iks, ne possèdent manifestement pas ces caractéristiques de complexité. Pour elles, l’effondrement entraîne la perte des éléments communs aux structures de groupe ou tribales – les lignées et les clans, la réciprocité et autres obligations entre membre de la même famille, la structure politique villageoise, les relations de respect et d’autorité, et la répression des comportements asociaux. Pour un tel peuple, l’effondrement a sûrement conduit à une situation où seul le plus fort survit, mais ainsi que Turnbull1 le souligne, ce n’est qu’un ajustement logique à leur condition désespérée.

Dans une société complexe qui s’est effondrée, il apparaîtrait donc que la structure commune qui fournit les services de soutien à la population perd de sa capacité ou disparaît entièrement. Les gens ne peuvent plus compter ni sur une défense extérieure ni sur l’ordre à l’intérieur, pas plus que sur l’entretien des ouvrages publics ou la distribution de denrées alimentaires et de marchandises. L’organisation se réduit au niveau économiquement soutenable le plus simple, si bien qu’une variété de régimes politiques en conflit les uns contre les autres existent là où régnait la paix et l’unité. Les populations qui subsistent doivent devenir autosuffisantes au niveau local, à un degré jamais vu depuis plusieurs générations. Les groupes qui étaient auparavant des partenaires économiques et politiques sont désormais des étrangers, voire même des concurrents menaçants. D’où que l’on regarde, le monde se rétracte perceptiblement et, par-delà l’horizon, se trouve l’inconnu.

Avec ce modèle, il ne faut guère s’étonner que tant de gens, aujourd’hui, aient peur de l’effondrement. Même parmi ceux qui décrient les excès de la société industrielle, sa possible fin doit sûrement être considérée comme catastrophique. Que l’effondrement soit universellement une catastrophe n’est cependant pas aussi certain !

1 : Turnbull, Colin M. (1978). Rethinking the Ik. A functional non-social system. In Extinction and survival in Human populations, edited by Charles D. Laughlin, Jr. and Ivan A. Brady, pp. 49-75. Columbia University Press, New York.

L’effondrement des sociétés complexes ; Joseph A. Tainter ; édition française, Le retour aux sources, 2013, pp. 24

Récompense, Le système technicien, Ellul

L’Homme ne peut vivre et travailler dans une société technicienne que s’il reçoit un certain nombre de satisfactions complémentaires qui lui permettent d’en surmonter les inconvénients. […] la diversité de nourriture, la croissance de consommation d’azotés et de glucose n’est pas une surcharge due à la gourmandise mais une réponse compensatoire aux dépenses nerveuses impliquées par cette vie technicisée.

Jacques Ellul. Le système technicien, Paris, Calman-Lévy, 1977, pg 74