La peur du vagin ; Gazalé

Simone de Beauvoir avait repéré ce thème du pénis capturé par un ventre vénéneux et avide dans Le deuxième sexe :«La matrice, plante carnivore, un abîme de ténèbres convulsives ; un serpent l’habite qui engloutit insatiablement les forces du mầle1.» À son tour, Élisabeth Badinter a retrouvé cette croyance dans d’innombrables légendes, en Amérique du Nord et centrale, en Sibérie, en Chine, au Japon et en Inde, où «les hommes avaient tellement peur de déflorer leur femme qu’ils l’offraient, pour la première nuit, à un autre, de peur de se faire mordre. Un sexe de femme, des crocs de bête2 », écrit-elle dans XY. De l’identité masculine. Quant aux Maoris, leur peur du vagin était telle qu’ils le nommaient «la maison de la mort et du malheur».

Le péril justifie la violence : pour venir à bout du monstre, des armes seront parfois nécessaires. L’auteur de XY évoque à ce sujet le mythe de Tikanjaj3, pratiqué à Bastar, toujours en Inde : les hommes s’étaient fait raboter le pénis, qu’ils avaient à l’origine très long, se vengèrent en cassant les dents du vagin à coup de pilon. «Gourdins, cailloux, marteaux, clous ou lances : le traitement infligé au vagin denté n’est jamais tendre.»

Celui réservé au clitoris non plus… Et cette fois, il ne s’agit plus de mythe, mais d’une réalité, massive à l’échelle de l’humanité, bien plus barbare encore que celle des pieds bandés. L’idée est simple : sans clitoris, pas de jouissance, donc moins de risque d’adultère. Alors pourquoi se priver d’une sécurité supplémentaire ? D’autant que ce petit organe passe pour être la «dernière dent» du vagin, sans doute la plus redoutable de toutes…

Contrairement à ce que prétendent certains dignitaires religieux musulmans, les diverses méthodes d’excision ne sont pas des prescriptions coraniques, puisqu’elles sont bien antérieures à la naissance de l’Islam. Elles sont nées à l’âge de pierre en Afrique centrale, avant de disséminer sur tout le continent et même, jusqu’au Pakistan et en Indonésie à la suite des conquêtes arabes. Rappelons aussi que le prophète Mahomet, qui condamnait les mortifications, vantait les préliminaires et jugeait importante l’harmonie sexuelle entre époux, n’a excisé ni ses femmes, ni ses filles. En outre, cette tradition se perpétue aussi dans certaines communautés chrétiennes. En Égypte, qui est l’un des pays ou les mutilations sexuelles sont les plus répandues (la momie de Néfertiti prouve que même la reine y avait eu droit), les fillettes coptes sont, encore aujourd’hui, excisées dans les mêmes proportions que les petites musulmanes. Cette opération dangereuse, qu’elle prenne la forme d’une ablation du clitoris ou d’une infibulation4, s’est pratiquée et se pratique encore à une très large échelle à travers le monde5. Elle n’a toujours pas disparue en France, où elle est exécutée clandestinement, dans des conditions d’hygiène désastreuses, par des communautés venues du Mali, du Sénégal, de Mauritanie, de Gambie ou de Guinée6.

Rien à faire : la fillette doit y passer si elle veut un jour pouvoir se marier (avec celui que son père lui aura désigné, cela va sans dire). Les centaines de milliers d’accidents mortels, de cas d’hémorragie, de tétanos, de septicémie, de pathologie urinaire à vie, de fistules, d’accouchements abominables, sans même parler des préjudices psychologique, ne semblent pas des arguments suffisants pour abolir cette coutume.

1 : Simone de Beauvoir, Le deuxième sexe, t. II, chap. III : «L’initiation sexuelle», Paris, Folio Essais, 1986

2 : Élisabeth Badinter, XY. De l’identité masculine, op. Cit.

3 : Rapporté par Elwin Verrier, «The vagina dentata legend», British journal of medical psychology, 1943, vol 19

4 : Dérivé de fibule, l’agrafe. L’infibulation est la suture des grandes lèvres (parfois cousues avec des aiguilles d’accacia), ne laissent plus qu’un minuscule orifice pour l’écoulement du sang menstruel et des urines. La vulve a disparu, seule demeure une cicatrice très dure, quelque fois coupée au poignard par l’époux lors de la nuit de noce. Parfois, le sexe est recousu après la naissance, ou lorsque le mari d’absente (on est jamais trop prudent)

5 : «130 millions de femmes et fillettes sont excisées de par le monde, 9 femmes sur 10 dans les pays les plus touchés (Égypte, Érythrée, Soudan, Mali), 5 femmes sur 10 en centrafrique et côte d’ivoire […] 1500 femmes par mois meurent des suites d’une excision dans la corne de l’Afrique», in Christine Ockrent (dir.) Le livre noir de la condition des femmes, coordonné par Sandrine Treinet, postface de Françoise Gaspard, Paris, Points, 2007

6 : Voir Linda Weil-Curiel, «L’excision en France» in Le livre noir de la condition des femmes, op cit.Voir aussi, du médecin humanitaire Pierre Foldes, «La chirurgie contre l’excision» n Le livre noir de la condition des femmes, op cit.

Le mythe de la virilité, un piège pour les deux sexes ; Olivia Gazalé ; Robert Laffont ; 2017 ; p. 76-78

La femme plus petite que l’homme ? Gazalé

Lorsque l’on s’interroge sur les origines de la domination masculine – qu’il vaut mieux nommer viriarcat que patriarcat, puisque l’homme détient le pouvoir, qu’il soit père ou non – , on peut vite céder à la facilité de l’explication purement morphologique. C’est l’argument le plus évident, le plus immédiat, le plus communément partagé et pourtant le moins souvent discuté pour rendre compte de la minoration historique de la femme : celui de la force physique. À la question «Comment expliquer que les femmes aient accepté de se soumettre à la puissance virile?», il suffirait de répliquer : «Elles n’eurent par le choix, car les hommes étaient plus grands et plus forts.» Certes, il ne fait aucun doute que, les hommes étant plus robustes, ils ont profité de ce privilège biologique pour s’imposer. Pour autant, cette réponse n’est pas suffisante, et ceci pour au moins deux raisons.

La première, c’est que ces différences anatomiques entre les deux sexes ne sont pas aussi naturelles et universelles qu’on pourrait le penser. Chez les animaux invertébrés, la femelle est généralement plus grandes que le mâle, et chez certains mammifères, comme le gibbon, la baleine bleue, le lapin ou le chat, la taille est indépendante du genre. En outre, les premiers ossements humains datant du paléolithique ne présentent pas de différence significative de taille ou de diamètre entre les sexes1. En réalité, il est très probable que l’écart sexué de stature soit apparu ultérieurement, comme résultant d’une inégalité non pas génomique, mais nutritionnelle. Comme l’a montré l’anthropologue français Priscille Touraille dans un essai remarqué, intitulé Hommes grands, femmes petites : une évolution coûteuse2, dans la plupart des civilisations, pendant des millénaires, les protéines étaient réservées aux garçons et aux hommes, tandis que les sœurs et les épouses devaient se contenter de bouillies et des restes, pauvres en nutriments. Cette malnutrition différentielle explique que les femmes et les fillettes aient toujours été les premières victimes des famines, d’autant que la menstruation et la grossesse ont un coût énergétique important. La plus faible constitution des femmes est donc en partie le conséquence, et non pas la cause, de leur infériorisation sociale. Ce qui signifie que la supériorité physique mâle n’est donc ni totalement naturelle, ni tangible, ni indépassable.

1 : Robert Briffault, The Mothers. The Matriarcal Theory of social origins, New York, Grosset and Dunlap, 1963

2 : Priscille Touraille, Hommes grands, femmes petites:une évolution coûteuse. Les régimes de genre comme force sélective de l’adaptation biologique, Paris, MSH, 2008. Voir aussi le documentaire Arte de Véronique Kleiner (Kleiner signifie en Allemand «plus petit(e)», ça ne s’invente pas.…) Pourquoi les femmes sont-elles plus petites que les hommes ?, réalisé en coproduction avec Didier Deleskiewicz, en partenariat avec le conseil régional, le département de la Vienne et Picta productions, 2012.

Le mythe de la virilité, un piège pour les deux sexes ; Olivia Gazalé ; Robert Laffont ; 2017 ; p. 47-48

L’invention de la fiction ; Harrari

Il existe des limites claires à la taille des groupes qui peuvent se former et se maintenir ainsi. Pour que ça marche, tous les membres du groupe doivent se connaître intimement. Deux chimpanzés qui ne se sont jamais rencontrés ni battus et qui ne se sont jamais livrés à une toilette mutuelle ne sauront pas s’ils peuvent se fier l’un à l’autre, si cela vaudrait la peine de s’entraider, et lequel est le plus haut placé. Dans des conditions naturelles, une troupe typique de chimpanzés compte entre 20 et 50 individus. Si le nombre de chimpanzés d’une troupe augmente, l’ordre social se déstabilise au point de déboucher finalement sur une rupture et sur la formation par certains éléments d’une nouvelle troupe.

Les zoologistes n’ont observé des groupes de plus de 100 chimpanzés que dans une poignée de cas. Les groupes séparés coopèrent rarement et ont tendance à se disputer territoire et nourriture. Des chercheurs ont étudié de longues guerres entre groupes, et même un cas d’activités «génocidaires», avec un groupe qui massacrait systématiquement la plupart des membres d’une bande voisine1.

De semblables configurations dominèrent probablement la vie sociale des premiers humains, dont l’Homo sapiens archaïque. Comme les chimpanzés, les humains ont des instincts sociaux qui permirent à nos ancêtres de forger des amitiés et des hiérarchies, de chasser et de combattre ensemble. Toutefois, comme les instincts sociaux du singe, ceux des hommes n’étaient que pour de petits groupes d’intimes. Le groupe devenant trop grand, l’ordre social s’en trouvait déstabilisé et la bande se scindait. Même si une vallée particulièrement fertile pouvait nourrir 500 sapiens archaïques, il n’y avait pas moyen pour tant d’inconnus de vivre ensemble. Comment choisir qui serait le chef, qui devrait chasser et où, qui devait d’accoupler ?

Dans le sillage de la révolution cognitive, le bavardage aida Homo sapiens à former des bandes plus larges et plus stables. Mais lui-même a ses limites. La recherche sociologique a montré que la taille «naturelle» maximale d’un groupe lié par le commérage est d’environ 150 individus. La plupart n’en peuvent connaître intimement plus de 150 ; on retrouve la même limite quant aux bavardages efficaces.

Aujourd’hui encore, le seul critique de la capacité d’organisation humaine se situe autour de ce chiffre magique. En deçà de ce seuil, les communautés, les entreprises, les réseaux sociaux et les unités militaires peuvent se perpétuer en se nourrissant essentiellement de connaissance intime et de rumeurs colportées. Nul n’est besoin de rangs officiels, de titre et de code de loi pour maintenir l’ordre. Un peloton de 30 soldats ou même une compagnie de 100 soldats peuvent parfaitement fonctionner sur la base de relations intimes, avec un minimum de discipline formelle. Un sergent respecté peut devenir le «roi de la compagnie» et peut même exercer une autorité sur des officiers. Une petite affaire familiale peut survivre et prospérer sans conseil d’administration ni PDG ni service de comptabilité.

Une fois franchi le seuil de 150 individus, cependant, les choses ne peuvent plus fonctionner ainsi. On ne conduit une division forte de milliers de soldats comme on dirige un peloton. Les entreprises familiales qui réussissent traversent généralement une crise quand elles prennent et embauchent du personnel. Si elles ne savent pas se réinventer, elles font faillite.

Comment Homo sapiens a-t-il réussi à franchir ce seuil critique pour finalement fonder des cités de plusieurs dizaines de milliers d’habitants et des empires de centaines de millions de sujets ? Le secret réside probablement dans l’apparition de la fiction. De grands nombres d’inconnus peuvent coopérer avec succès en croyant à des mythes communs.

Toutes coopération humaine à grande échelle – qu’il s’agisse d’un état moderne, d’une église médiévale, d’une cité antique ou d’une tribu archaïque – s’enracine dans des mythes communs qui n’existent que dans l’imagination collective. Les églises s’enracinent dans des mythes religieux communs. Deux catholiques qui ne se sont jamais rencontrés peuvent néanmoins partir en croisade ensemble ou réunir des fonds pour construire un hôpital parce que tous deux croient que Dieu s’est incarné et s’est laissé crucifier pour racheter nos péchés. Les états s’enracinent dans des mythes nationaux communs. Deux Serbes qui ne se sont jamais rencontrés peuvent risquer leur vie pour se sauver l’un l’autre parce que tous deux croient à l’existence d’une nation serbe, à la patrie serbe et au drapeau serbe. Les systèmes judiciaires s’enracinent dans des mythes légaux communs. Deux juristes qui ne se sont jamais rencontrés peuvent néanmoins associer leurs efforts pour défendre un parfait inconnu parce que tous deux croient à l’existence des lois, de la justice, des droits de l’homme – et des honoraires qu’ils touchent.

Pourtant, aucune de ces choses n’existe hors des histoires que les gens inventent et se racontent les uns aux autres. Il n’y a pas de Dieu dans l’univers, pas de nations, pas d’argent, pas de droit de l’homme, ni lois ni justice hors de l’imagination communes des êtres humains.

Nous comprenons aisément que les «primitifs» cimentent leur ordre social en croyant aux fantômes et aux esprits, et se rassemblent à chaque pleine lune pour danser autour du feu de camp. Ce que nous saisissons mal, c’est que nos intuitions modernes fonctionnent exactement sur la même base. Prenez l’exemple du monde des entreprises. Les hommes d’affaires et le juristes modernes sont en fait de puissants sorciers. Entre eux et les shamans tribaux, la principale différence est que les hommes de loi modernes racontent des histoires encore plus étranges.

1 :Frans de Waal, Chimpanzee Politics : Power and sex among Apes, Baltimore, Johns Hopkins university press, 2000 ; Frans de Waal, Our inner ape : a leading primatologist explains why we are who we are, New york, Riverhead books, 2005 ; Michael L. Wilson et Richard W. Wrangham, «intergroup relations in chimpanzees», annual review of anthropology, 32, 2003, p. 363-392 ; M. McFarland Symington, «Fission- Fusion social organization en Ateles and Pan», International journal of primatology, 11:1, 1990, p.49 ; Colin A. Chapman et Lauren J. Chapman, «Determinants of groups size in primates : the importance of travel costs», in Sue Boinsky et Paul A. Garber (dir.), On the move : how and why animals travel in groups, Chicago, University of Chicago press, 2000, p.26

Sapiens, une brève histoire de l’humanité ; Yuval Noah Harrari ; Albin Michel

Pg 37-40

La troisième extinction… ; Harrari

La première vague d’extinction, qui accompagna l’essor des fourrageurs et fut suivie par la deuxième, qui accompagna l’essor des cultivateurs, nous offre une perspective intéressante sur la troisième vague que provoque aujourd’hui l’activité industrielle. Ne croyez pas les écolos qui prétendent que nos ancêtres vivaient en harmonie avec la nature. Bien avant la révolution industrielle, Homo sapiens dépassait tous les autres organismes pour avoir poussé le plus d’espèces animales et végétales à l’extinction. Nous avons le privilège douteux d’être l’espèce la plus meurtrière des annales de la biologie.

Si plus de gens avaient conscience des deux premières vagues d’extinction, peut-être seraient-ils moins nonchalants face à la troisième extinction, dont ils sont partie prenante. Si nous savions combien d’espèces nous avons déjà éradiquées, peut-être serions-nous davantage motivés pour protéger celles qui survivent encore. Cela vaut plus particulièrement pour les gros animaux des océans. À la différence de leurs homologues terrestres, les gros animaux marins ont relativement peu souffert des révolutions cognitive et agricole. Mais nombre d’entre eux sont au seuil d’extinction du fait de la révolution industrielle et de la surexploitation humaine des ressources océaniques. Si les choses continuent au rythme actuel, il est probable que les baleines, les requins, le thon et le dauphin suivent prématurément dans l’oubli les diprotodons, les paresseux terrestres et les mammouths. Parmi les plus grandes créatures du monde, les seuls survivants du déluge humain sont les hommes eux-mêmes et les animaux de ferme réduits à l’état de galériens dans l’Arche de Noé.

Sapiens, une brève histoire de l’humanité ; Yuval Noah Harrari ; Albin Michel

Pg 96-97

1ère Extinction par Sapiens ; Harrari

Au moment de la révolution cognitive, la planète hébergeait autour de 200 genres de gros mammifères terrestres de plus de 50 kg. Au moment de la révolution agricole, une centaine seulement demeurait. Homo sapiens provoqua l’extinction de près de la moitié des grands animaux de la planète, bien avant que l’homme n’invente la roue, l’écriture ou les outils de fer.

Sapiens, une brève histoire de l’humanité ; Yuval Noah Harrari ; Albin Michel

Pg 95

Liberté de circulation ; Diamond

Pendant la durée de l’histoire humaine, si ce n’est dans les dernières mille années, il fut totalement impossible de voyager librement. Chaque village ou chaque tribu constituait une unité politique et vivait dans un état permanent de guerre avec les voisins, entrecoupé de trêves ou de périodes consacrées à la recherche de nouvelles alliances ou au commerce. C’est pourquoi l’existence des montagnards de Nouvelle-Guinée se déroulait en totalité dans un rayon de quinze kilomètres autour de leur lieu de naissance. Ils pouvaient parfois pénétrer sur des terres jouxtant celle de leur village, très rapidement au cours de raids guerriers ou lorsqu’ils en avaient la permission au cours des trèves, mais il ne bénéficiaient d’aucun pacte social qui leur auraient permis de voyager au-delà des terres avoisinant immédiatement les leurs. L’idée de tolérer des étrangers sur son territoire était aussi impensable que celle de permettre à des étrangers d’y pénétrer. De nos jours encore, cette façon, héritée du passé, de refuser qu’autruie pénètre sur son territoire persiste dans de nombreuse région du monde.

……

Lorsqu’à deux reprises, il m’est arrivé de négliger cette précaution – ou bien de demander la permission à un village qui n’était pas le bon- , et que j’ai effectué ma randonnée en me déplaçant en bateau sur une rivière, je me suis heurté, à mon retour, aux habitants du village qui me barraient la route avec leur canoës et, furieux que j’ai violé leur territoire, voulaient me lapider. J’ai vécu chez les Elopi, dans l’ouest de la Nouvelle-Guinée, et un jour j’entrepris de traverser le territoire de la tribu voisinne de Fayu, afin d’atteindre les montagnes situées au-delà. Les Elopi m’expliquèrent froidement que les Fayu me tueraient si j’essayais. Du point de vue des Néo-Guinéens, cela allait de soi. Les Fayu tuent bien sûr, tout étranger qui s’aventurent sur leur territoire, me dirent mes hôtes. Qui penserait qu’ils sont assez stupides pour laisser pénétrer sur leur territoire des étrangers, susceptibles de chasser leur gibier, de s’en prendre à leur femmes, d’introduire des maladies et de reconnaître le terrain en vue d’un raid guerrier ultérieur.

Jared Diamond ; Le troisième chimpanzé ; Folio essai ; 1992; p 408-409

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Une révolution agricole ? -2; Diamond

1 et les deux tiers se sont mis à souffrir d’arthrose ou de maladies dégénératives. Les taux de mortalité à tous les âges ont augmenté, de sorte qu’un pour cent seulement de la population arrivait à dépasser l’âge de cinquante ans après l’adoption de la culture du maïs, contre 5 pour cent à l’âge d’or d’avant le maïs. Presque un quart de la population mourait entre l’âge de 1 et 4 ans, probablement parce que les jeunes enfants venant d’être sevrés souffraient de malnutrition et succombaient aux maladies infectieuses. Ainsi, l’apparition de la culture du maïs, que l’on considère généralement comme l’un des grands événements heureux de l’histoire du Nouveau Monde, a en réalité conduit à un désastre en matière de santé publique. Les études des squelettes trouvés ailleurs à la surface du globe ont abouti à des conclusions similaires en ce qui concerne le passage de la chasse à l’agriculture dans ces autres régions. Trois types de raisons expliquent ces conséquences dommageables pour la santé. D’abord, le chasseurs-cueilleurs jouissaient d’un régime varié, comprenant des quantités adéquates de protéines, de vitamines et de minéraux, tandis que les agriculteurs se sont procurés l’essentiel de leur nourriture à partir de végétaux riches en glucides. Les agriculteurs ont ainsi obtenu à moindre effort les calories dont ils avaient besoin, mais au prix d’une alimentation appauvrie. De nos jours, trois plantes seulement riches en glucides – le blé, le riz et le maïs – fournissent plus de 50 pour cent des calories consommées par l’espèce humaine. Ensuite, en raison de cette dépendance par rapport à un petit nombre de plantes cultivées, les agriculteurs ont été exposés à un risque de famine plus élevé que les chasseurs-cueilleurs, dès lors que l’une des plantes cruciales ne donnait pas la moisson attendue – la famine qui a frappé l’Irlande au siècle dernier, déjà évoquée, n’est qu’un exemple parmi d’autres. Enfin, la plupart des grandes maladies infectieuses ou parasitaires actuelles ne se sont établies qu’après le passage à l’agriculture. Ces causes de mortalité ne persistent, en effet, que dans les sociétés où les individus sont très nombreux, mal nourris et sédentaires, car dans ces conditions les agents infectieux circulent, transmis soit entre individus, soit par le biais des eaux rejetées. Par exemple, la bactérie du choléra ne survit pas longtemps en dehors du corps humain. Elle se propage d’un individu à l’autre en raison de la contamination des eaux de boisson par les fèces de malade atteint du choléra. La rougeole s’éteint au sein de petites populations, à partir du moment où elle a tué ou immunisé la plupart de ses hôtes possibles. Ce n’est que dans les populations comprenant au moins quelques centaines de milliers de personnes qu’elle peut persister indéfiniment. De telles épidémies qui sévissent dans les masses ne pouvaient pas perdurer au sein de petites bandes éparpillées de chasseurs-cueilleurs, qui changeaient souvent de site de campement. La tuberculose, la lèpre et le choléra ont attendu l’essor de l’agriculture pour se répandre, tandis que la variole, la peste bubonique et la rougeole ne sont apparues que dans les quelques derniers millénaires, paralèllement au rassemblement de populations encore plus denses au sein des villes. 1 : la pian est une maladie voisine de la syphilis Jared Diamond ; Le troisième chimpanzé ; Folio essai ; p 337-341]]>

Sorcellerie et tabou deux facettes de la magie sympathique; Frazer; Le Rameau d'or.

….le système de la magie sympathique ne comprend pas seulement des principes positifs, mais aussi un grand nombre de principes négatifs, c’est-à-dire de prohibitions ; il énonce non seulement ce qu’il convient de faire, mais aussi ce dont il faut s’abstenir. Les principes positifs sont des charmes ; les principes négatifs des tabous. La doctrine entière du tabou paraît même n’être, en somme, qu’une application spéciale de la magie sympathique, et de ses deux grandes sois de la similitude et de contact. …. L’homme non civilisé pense que s’il agit de certaines façon, certaines conséquences s’ensuivront inévitablement en vertus de l’une ou de l’autre de ces lois….. il s’abstient, en vertu de ses notions erronées de cause et d’effet, de faire ce qu’il croit devoir lui être nuisible ; bref, il se soumet à un tabou ; le tabou n’est donc qu’une application négative de la magie pratique. La magie positive, ou sorcellerie, dit : « Fais ceci afin que telle chose arrive. » La magie négative, ou tabou, dit : « Ne fais pas ceci de crainte que telle chose n’arrive. » Le but de la magie positive, ou sorcellerie, est de produire une chose désirée ; le but de la magie négative, ou tabou, est d’éviter quelque chose de redouté. Mais les deux conséquences, la souhaitée et la redoutée, sont censées produites conformément aux lois de similarité et de contact. …. Si le mal supposé suivait infailliblement tout manquement au tabou, il ne s’agirait plus d’un tabou, mais d’un précepte de morale ou de sens commun. Ce n’est pas un tabou que de dire « Ne mets pas la main dans le feu. » C’est une règle de bon sens, vu que l’action prohibée entraînerait un mal réel et non imaginaire. Pg76-77 Frazer et le cycle du rameau d’or, Nicole Belmont et Michel Izard, Laboratoire d’anthropologie sociale; Collège de France.]]>