«Laissée à elle-même, la bagnole finit par se détruire. Le temps que sa rapidité nous donne, elle le reprend aussitôt pour nous expédier ailleurs […] . Elle nous mène à la campagne, mais bientôt, l’auto aidant, nous ne trouverons plus à cent kilomètres de voiture la baignade ou la verdure qui nous attendaient à cinq minutes à pied1.»
Une phrase prophétique… Les mares à tritons de Nogent-sur-Marne2 ou d’ailleurs ont disparus, au profit des viaducs, des autoroutes, des no man’s land entre bretelles de bitume. Il est clair désormais que la liberté créée par la mobilité individuelle motorisée est chère payée, du point de vue environnemental (émission de gaz à effet de serre et de polluants, consommation de ressources, artificialisation du territoire…) comme sociétal (nuisance sonore, fragmentation des lieux de vie, impacts sanitaires…). Il n’existe et n’existera aucune source d’énergie ou de vecteur énergétique permettant d’offrir à l’humanité la mobilité moyenne d’un Américain, ou même d’un Européen (et sûrement pas la voiture électrique). La consommation énergétique et métalliques est telle que le seul choix est de sortir de la civilisation de la voiture, et tout cas au sens où l’on entend le mot «voiture», c’est-à-dire un objet de l’ordre d’une tonne transportant 80 kg de charge utile dans la plupart des cas. Pour l’instant, on n’en prend pas le chemin, avec un parc mondial de véhicules qui a passé le cap du milliard en 2010. Mécaniquement, le besoin généré en routes et parkings supplémentaires provoque la disparition de millions d’hectares de précieuses terres agricoles (notamment en Chine), souvent les plus riches car situées dans les zones en cours d’urbanisation dans les plaines et sur les côtes.
1 : Bernard Charbonneau, L’Hommauto, Paris, Denoël, 1967, p. 123
2 : François Cavanna, Les Ritals, Paris, Belfond, 1978
L’âge des Low Tech, Philippe Bihouix ; Anthropocène ; Seuil ; 2014 ; pp 190-191